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2010
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Nelson Mandela et Messali Hadj : un même combat !

Juin 1957 : Premier Congrès de l’USTA _____________________________________
2008
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Immigration algérienne et identité française

La Cité de l’immigration propose l’écriture d’une histoire longue des immigrations qui, en se fondant dans le creuset français, ont contribué à façonné l’histoire du pays d’accueil et à remodeler, en bousculant les pesanteurs du passé, son identité.
Une telle démarche rend maintenant possible l’écriture d’une histoire scientifique de l’immigration algérienne, particulièrement maltraitée jusqu’ici. En effet, la principale version en circulation découpe la séquence 1958-1962 de l’histoire séculaire de cette immigration1qu’elle assimile abusivement à la résistance française, puis elle procède à une lecture partisane du passé, dans le même temps qu’elle a bloqué le processus de l’intégration des enfants issus de l’immigration algérienne.
Pour faire oeuvre d’historien et de citoyen, il convient de tordre le cou à la construction faite par les héritiers du lobby FLN, parce qu’elle est fausse et réactionnaire, comme il apparaît :
● elle ignore, minorise ou dénature l’histoire sociale et politique des travailleurs algériens, inscrits dans le procès de production, membres de la CGT et de l’Étoile Nord-Africaine, du PPA, du MTLD puis du MNA qui participèrent à tous les combats de la classe ouvrière en France.
● elle camoufle le fait que c’est après les massacres de Melouza et de la direction de l’USTA que le FLN, a pris, avec la complicité du PCF (l’accord Harbi-Lebjaoui-Tollet créant l’AGTA), le contrôle militaire de l’émigration, rendant possible la formation du GPRA, se proclamant représentant unique et légitime du peuple algérien.
● elle parle de guerre fratricide entre deux organisations rivales mais de même nature, alors que le FLN s’est engagé dans une guerre d’extermination du MNA, dès le départ (tentative d’assassinat de Messali par Tarbouche, lieutenant de Boudiaf en 1955, massacre de milliers de messalistes sur décision d’Abane Ramdane, dès mars 1955)
● elle justifie l’emploi du terrorisme par le FLN, jamais employé par l’Étoile construite au sein du mouvement communiste et porteur de son mode d’organisation et de ses méthodes de lutte. Il en est de même pour le PPA, le MTLD et le MNA. Le terrorisme en dressant une fracture entre travailleurs français et algériens, a créé les conditions d’un puissant racisme anti-algérien, de l’alignement de la gauche sur le général de Gaulle, déterminé à larguer le boulet algérien, de l’exode massif des Européens de leur pays et de l’avènement d’un régime militaro policier en Algérie, avec l’islam comme religion d’État.
●elle survalorise l’aide apportée sans condition au FLN par les porteurs de valises, les aventuriers, les déclassés, insoumis, déserteurs et mercenaires en ignorant les combats menés par la classe ouvrière, la gauche socialiste et révolutionnaire, les syndicats de la Fédération de l’Education nationale (FEN)comme l’action menée par le contingent en Algérie.
● elle fait du 17 octobre 1957, la journée unique et mémorable du martyr de l’émigration (elle ignore les manifestations des Algériens pendant le Front populaire, les 1er mai et le 14 juillet 1954 et celle du 9 mars 1956 pendant le débat sur les pouvoirs spéciaux en Algérie), sans expliquer le contexte, en diabolisant Papon qui ne fut qu’un exécutant et en justifiant le terrorisme FLN, à un moment où de Gaulle s’apprêtait à signer les accords d’Évian, en capitulant sur toute la ligne. Le refus du président Sarkozy de signer le traité d’amitié franco-algérien, exigé par Bouteflika, met un point final à la guerre d’Algérie. Elle rend maintenant possible la critique radicale des travaux des historiens du lobby FLN, qui connaîtront le même discrédit que tous les laudateurs du stalinisme. Laissons aux nouveaux historiens le soin de faire le ménage et faisons oeuvre utile en montrant comment l’Etoile Nord-Africaine a participé en 1934 à la lutte contre le fascisme, l’impérialisme et l’antisémitisme en menant ces combats en alliance avec la classe ouvrière.


1934 : le combat de Messali Hadj et de l’Étoile Nord-Africaine

FEVRIER 1934



C'est en février 1934 que Messali Hadj, secrétaire général de l'Étoile nord-africaine se dégage de sa relation, conflictuelle mais exclusive, avec le PCF pour nouer des liens avec la gauche socialiste, les trotskystes et les groupes menant la lutte contre l'impérialisme, le fascisme et l'antisémitisme.

l. Le contexte historique

En 1929, le krach boursier d'octobre 1929 aux États-Unis va, en s'élargissant à la sphère de la production, affecter gravement la société américaine. En s'internationalisant, la crise va toucher l'Allemagne dont l'économie s'effondre en 1931. C'est dans ces conditions qu’Hitler qui s'est fortement rapproché du patronat, devient le 30 janvier 1933, chancelier du Reich.
Vivant quelque peu en marge du capitalisme mondial et protégé par l'archaïsme de ses structures économiques, la France ne sera affectée par la crise qu’à l'automne 1931. Très vite, la crise économique devient sociale et touche directement les partis du gouvernement, radicaux et modérés, et, au delà, le régime parlementaire lui-même. Du printemps 1932 au début de l'année 1934, le parti radical use au pouvoir ses principaux chefs' Edouard Herriot, Edouard Daladier, Camille Chautemps, Albert Sarraut, sans parvenir à gouverner vraiment.
L'arrivée d'Hitler au pouvoir va exacerber les tensions sociales et politiques. C'est dans ce contexte de paralysie du régime qu'éclate l'affaire Stavisky. (1) En janvier, les ligues et diverses organisations (2) manifestent pour remplacer la République par un régime fort. Le 6 février, les Ligues et l'Union Nationale des Combattants appellent á une grande manifestation devant la Chambre, pour demander la démission d'Edouard Daladier qui a remplacé au gouvernement Camille Chautemps. La police s'oppose puis tire sur les manifestants sur le pont de la Concorde, faisant 16 morts et 665 blessés. (3) Gaston Doumergue succède à Edouard Daladier, mais consciente de la profondeur de la crise sociale et politique, la CGT appelle à la grève générale et participe avec la SFIO et le PCF à une manifestation, de la porte de Vincennes á la Nation.

2. L'Étoile nord-africaine et la crise de février 1934.

Menacée de dissolution en 1929, l' Étoile a traversé une période difficile jusqu'en 1932, par le fait de la crise économique qui â frappé les travailleurs immigrés, la répression policière, la poussée de la xénophobie et l'hostilité du PCF qui veut prendre son contrôle.
Malgré tout, Messali Hadj, soutenu par le comité directeur de l’Étoile redresse la barre. Il lance El Ouma, un journal de propagande, d'information et d'organisation, inspirée de l'Iskra de Lénine (4), puis il dirige le 28 mai 1933, au 49 rue de Bretagne, une Assemblée générale qui dote l'Etoile d'un programme prolétarien radical et la structure sur le modèle communiste (5) car le danger approche.

« En ces années 33-34, la paix du monde était menacée à la fois par le colonialisme et par le fascisme italien et allemand. Un mouvement antifasciste et anti-impérialiste prenait son essor au sein de la classe ouvrière et de la gauche française. Il était temps, car, à Paris, les jeunesses patriotiques commençaient á manifester devant la Sorbonne et le boulevard Saint-Germain, tandis qu'Hitler devenait chancelier. Ce fut alors le 6 février 1934, les affrontements entre les manifestants anti-fascistes et les forces de police, les tentatives pour s'emparer de la Chambre des Députés, les morts et les blessés de part et d'autre (...)

On sait que de nouveaux affrontements eurent lieu et qu'une deuxième manifestation se déroula le 9 février 1934, Place de la République, puis une troisième, le 12 février 1934, cours de Vincennes (...). II y avait des dizaines et des dizaines de milliers de manifestants. Les gens parlaient par groupes et insistaient sur la nécessité de l'unité de la gauche. On scandait le mot d'ordre « unité d'action ». Tous les grands dirigeants et élus du Parti socialiste, du PCF, du Parti radical et d'autres associations de gauche étaient présents. Des discours ont été prononcés par Blum, Paul Faure, Marcel Cachin et Duclos. Après cela, le cortége de la manifestation se mit en branle au rythme des chansons révolutionnaires.

Tout cela me donnait á penser. L'Étoile Nord-Africaine prenait l'allure d'un parti politique, avec des structures de plus en plus solides. Aussi je me dis que notre place était tout indiquée à côté du peuple français et du socialisme démocratique. Certes, le socialisme français ne se préoccupait guère de nos revendications nationales, mais malgré tout, il y avait des possibilités,
au sein de la gauche, de plaider notre cause auprès de l'opinion publique. Réunis successivement, le bureau politique, le Comité directeur et une assemblée générale approuvèrent cette position.
Le tête-à-tête avec les communistes prenait définitivement fin. Nous traitions d'égal á égal avec les différents groupements de la gauche française et de nouvelles perspectives s'ouvraient. » (6)

Début février, Messali est mandaté par le Bureau politique pour suivre la situation. Le 6 février, il rencontre Daniel Guérin.

«À l'occasion de l'émeute fasciste du 6 février 1934, je fis la connaissance de l'Algérien Messali Hadj, l'animateur de l'Étoile Nord-Africaine, venu offrir à la Fédération de la Seine son concours pour contrecarrer la propagande des « ligues » auprès des travailleurs nord africains.
Messali était alors un grand jeune homme un peu osseux, vêtu à l'européenne et portant un soupçon de moustache noire. » (7)

À partir du 6 février, les Étoilistes sont présents dans les manifestations de la gauche et ils débrayent pendant la grève générale du 12 février. Sans tarder, le gouvernement qui redoute une alliance entre l'Etoile et la gauche, réagit en intimidant Messali :

« J'eus droit à une première perquisition de la police à mon domicile, faite par un juge d'instruction et un commissaire de police. Comme avocat, je pris Maître Jean Longuet, mais le PCF ne fut pas content de mon choix. En revanche, le Parti socialiste commença á nous ouvrir ses portes et à prêter plus d'attention à notre situation. Notre prestige augmentait alors considérablement auprès des étudiants et des travailleurs algériens. » (8)

Cette liaison avec la gauche socialiste et révolutionnaire conduira Messali à participer á tous ses combats jusqu'en 1939.

3. Contre le fascisme, le nazisme et l'impérialisme

Messali est très au courant des problèmes du Moyen-Orient et il sait que dans la Palestine du Mandat anglais, les affrontements sanglants entre les Sionistes et les Arabes à Jérusalem ont créé une situation qui sera exploitée par l'Italie puis par l'Allemagne.

C'est ainsi que Mussolini soutiendra l'émir Chekib Arslan qui lutte pour la Nahdah, la renaissance du monde arabe qui passe en grande partie par la reconstruction de la Grande Syrie (Syrie+Liban+Palestine) et par le réveil du Maghreb occupé par la France. La revue qu'il créée à Genève en 1930, la Nation Arabe, une revue panislamique et panarabe, exercera une influence profonde sur les leaders indépendantistes du Maghreb et du Proche-Orient. (9) À la même date, Messali développe dans El Ouma, une orientation opposée et mène une politique fondée sur le front unique ouvrier, l'internationalisme prolétarien et l'antiimpérialisme. Cette lutte se mène sur des positions de classe et jamais sur les positions du nationalisme arabe. Pendant l'été 1935, l'Étoile condamne l'agression italienne de L'Éthiopie et refuse tout contact avec le Grand Muphti de Jérusalem Hadj Amine el-Husseini qui, par haine du sionisme, ira à Berlin proposer ses services à Hitler.
Quand en 1935, Messali se réfugie à Genève auprès de l'émir Arslan, il se démarque nettement de lui sur la question syrienne. Messali demande á l'Etoile de mener en commun avec les Syriens la lutte contre l'impérialisme français et non pas pour une Syrie, pilier de la Nation arabe.

4. Contre l'antisémitisme en Algérie et en France

À Constantine, la capitale de l'Est algérien, les Juifs qui formaient 12 % de la population occupaient des positions importantes dans le commerce de gros, les banques, les professions libérales, l'enseignement et la fonction publique. Ils assurent aussi la fonction traditionnelle de prêteurs et d'usuriers.

Dans les années trente, la crise économique frappe durement le monde rural, avec des effets ravageurs dans le Constantinois. Endettés auprès des Caisses Agricoles Régionales ou des prêteurs juifs, les paysans algériens doivent céder á des prix très bas leur bétail et leurs terres á leurs créanciers et ils refluent dans Constantine á la recherche d'un travail. Dans ce contexte,
les troubles du Proche-Orient, la campagne lancée par la Ligue antisémite en direction des Musulmans, au lendemain de la victoire d'Hitler, et les manifestations de février 1934 ont créé un climat où les relations entre Juifs et Arabes deviennent tendues. Il a suffi d'un incident pour que des bagarres éclatent et dégénèrent en un pogrom (3-5 août 34).
Le bilan sera très lourd : 23 morts et 500 blessés chez les Juifs, 4 morts et 72 blessés chez les Musulmans.
L'Étoile et le PCF s'étant rapprochés depuis 1934, Messali et André Ferrat tiennent le 19 août, devant 3 500 immigrés algériens un meeting commun dans la grande salle de la Grange aux Belles où « ils stigmatisent avec force la provocation de l'impérialisme français, laquelle a engendré á Constantine un drame sanglant »
À cette occasion, un pacte d'unité et d'action est signé entre l'Étoile, le PCF, le Secours rouge et la ligue anti-impérialiste.
Lorsque le PCF change de ligne en 1936 et agit pour que le gouvernement Blum interdise l'Étoile, pourtant adhérente au Front populaire, Messali précise dans un article à ses amis socialistes, le combat qu'il a mené contre l'antisémitisme.

« ..Nous n'avons jamais été antisémites, et pour preuves, nos relations cordiales avec Bernard Lecache, chef de la LICA (Ligue internationale contre l'antisémitisme).
En 1935, j'ai parlé dans un grand meeting à Clermont-Ferrand, organisé par le Front populaire, en compagnie de Gabriel Cudenet et de Bernard Lecache. Depuis ce jour, en rentrant á Paris, Bernard Lecache m'avait invité à son bureau où il me promit de soutenir énergiquement nos revendications au sein du Conseil national du Front populaire, tant il était satisfait de notre collaboration et de nos sentiments. Au lendemain du 14 juillet 1936, Bernard Lecache qui a vu
combien notre cortége était important et discipliné, nous avait écrit dans son journal, le Droit de vivre , un appel émouvant auquel j'ai répondu chaleureusement. Lors de ma tournée de propagande en Algérie, où le fascisme essaie par tous les moyens de soulever les Arabes contre les Juifs, j'ai nettement et énergiquement combattu cette propagande en appelant nos frères au
calme et á la fraternité des peuples et des races. » (11)

Le combat mené par Messali Hadj et l'Étoile puis par le PPA pendant Vichy, contre le fascisme, le nazisme, l'impérialisme et l'antisémitisme reste d'une actualité brûlante. Il montre que l'on peut lutter contre l'impérialisme et l'antisémitisme, en restant sur les positions de l'internationalisme prolétarien, sans jamais pactiser avec les islamistes radicaux qui poursuivent le même combat que le grand Muphti de Jérusalem Hadj Amine el-Husseini, l'allié d'Hitler.

Notes

(1) Auteur de nombreux délits financiers qui ont bénéficié d'une surprenante immunité,Stavisky réussit à monter le Crédit Municipal de Bayonne et á escroquer, à travers lui,plusieurs dizaines de millions. L'escroquerie est découverte fin 1933 mais Stavisky échappe á un nouveau procès car il est retrouvé mort dans un chalet de Chamonix.
(2) L'Action française, la Ligue monarchiste inspirée de Charles Maurras, la Solidarité française, l'Union Nationale des Combattants, les Croix de feu du colonel La Rocque, etc.
(3) Georges Lefranc « Histoire du Front populaire » (Payot, 1974, p.20.
(4) Messali Hadj, sympathisant communiste en 1924, a adhéré au PCF en 1926, sur les positions de la IIIe internationale, dans ses quatre premiers congrès. Secrétaire général de l'Étoile à 28 ans et permanent du PCF, il s'est démarqué en 1928 d'un parti devenu stalinien, mais il est resté membre de sa cellule du XIe arrondissement jusqu'en 1933 et tous les Etoilistes militaient à la CGTU. Messali Hadj qui avait suivi les cours de l'école des cadres communistes
de Bobigny, par l'intermédiaire de Hadj Ali, connaissait parfaitement les ouvrages de Lénine et en particulier le « Que faire ?» auquel il fait souvent référence dans ses Mémoires.
(5) Jacques Simon. « L'Étoile Nord-Africaine (1926-1937) » L'Harmattan, (Col. CREAC/HISTOIRE), 2002, 313p. _
(6) Messali Hadj « Mémoires », Cahier manuscrit n'10, pp.3036-3048.
(7) Daniel Guérin « Ci-git le colonialisme »; Mouton, 1973, p.14.
(8) Messali Hadj, Mémoires, Cahier N°10, p.3065.
(9) Roger Faligot et Rémi Kauffer. « Le croissant et la croix gammée. Les secrets de l'alliance entre l'Islam et le nazisme d'Hitler à nos jours » Albin Michel, 1990, pp.50-54.
(10) Jacques Simon « L'Étoile Nord-Africaine, op.-cit, pp. 157-160.
(11) Messali Hadj. La dissolution de l'Étoile Nord-Africaine in La Gauche Révolutionnaire, n°15, 1 mars 1937, cité par Daniel Guerin; « Ci-git le colonialisme »; pp.307-309.


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FIN DECEMBRE 2007
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À PROPOS D’UNE PETITION

Dans le Monde et repris dans El Watan, du 1/12, une pétition a été lancée, signée par deux dirigeants algériens connus (Hocine Aït Ahmed, Abdelhamid Mehri ) et des historiens (Benjamin Stora,Mohamed Harbi et Gilbert Meynier), pour qui la révolution algérienne, ce ne fut pas l’entrée des masses sur la scène de l’histoire pour abroger le régime colonial et émanciper les populations opprimées, mais le seul fait du FLN/GPRA, parce qu’en se proclamant seul détenteur de la légitimité du peuple algérien, il rendait caduc le programme de l’Etoile Nord Africaine, du PPA et du MTLD,pour qui la Nation algérienne serait proclamée, à l’exemple de la révolution française, à l’issue d’élections libres de tous les habitants de l’Algérie (Européens, Juifs et Musulmans) à une Assemblée Constituante.

Peu importe que les Etats et pétromonarchies arabes, le bloc afro asiatique, l’impérialisme américain, Franco et le bloc communiste, aient soutenu le FLN/GPRA. Le but à atteindre par le peuple algérien, nous dit-on, ce n’était pas la révolution, la démocratie sociale et politique, le développement des forces productives, l’unité des peuples du Maghreb et l’émancipation des populations, mais l’Etat algérien, quelle que soit sa nature : démocratique ou militaro policier avec l’Islam comme religion d’Etat.

La pétition a été lancée pour dépasser « le contentieux historique » entre l’Algérie et la France.

Intention louable mais qui mérite examen.
Précisons qu’il n’existe pas de « contentieux » à régler devant le Tribunal de l’Histoire, mais un problème franco-algérien, qu’il faudrait aborder, selon moi, en s’inspirant des écrits de Karl Marx, Frédéric Engels, Rosa Luxembourg, Lénine et Trostky, sur le colonialisme.

Pour Marx, Engels et Rosa Luxembourg, la formation et l’accumulation du capital en Angleterre s’était effectué avec une brutalité inouïe, les fermiers, les artisans, leurs femmes et leurs enfants, transformés en prolétaires avaient été férocement exploités dans les bagnes industriels.

En s’élargissant en Inde, en Chine et en Afrique, le capitalisme a détruit les sociétés indigènes et infligé d’immenses souffrances matérielles, sociales et culturelles à leurs populations. Mais dans le même temps, pour réaliser le maximum de plus value, la bourgeoisie, agissant comme une force révolutionnaire (Cf.Marx-Engels : « Le Manifeste du parti communiste ») a introduit dans ces pays le mode de production capitaliste qui a ruiné le mode de production archaïque, générant le « despotisme oriental ».

Sur ces décombres, il a créé une armée de prolétaires, vendeurs de leur force de travail, occasionnelle (chômeurs, possesseurs d’un lopin…) ou régulière – la clochardisation invention de Germaine Tillion n’entre pas dans l’analyse marxiste –.Ces prolétaires, en s’organisant dans des syndicats, des partis ouvriers puis dans trois internationales, n’ont pas mené une lutte pour exiger la repentance du capitalisme, mais combattu pour l’abroger et établir le socialisme à l’échelle mondiale.

En Algérie, la conquête et la colonisation ont détruit la société algérienne traditionnelle, fondée sur un mode de production archaïque et la propriété collective et tribale des terres. Cela a entraîné des expropriations massives, de lourdes contributions de guerre, des impôts, des discriminations, le déni de ce peuple, de sa culture, de ses traditions et de sa religion, la misère, le refoulement des populations vers les montagnes et le désert, etc. Mais dans le même temps, l’introduction du capitalisme a créé, avec la formation d’un prolétariat, sa propre négation.

Ce processus, amorcé sous le second empire et amplifié jusqu’en 1914 a donné naissance à un prolétariat algérien introduit dès la fin du XIXème siècle dans l’appareil de production moderne, surtout en France. Au lendemain de la première guerre, des milliers d’Algériens passés par l’école des usines, ont investi les usines et les chantiers en France. En s’organisant dans la CGTU, dans le PCF, puis dans l’Etoile Nord Africaine, crée par le PCF sur décision de la IIIè Internationale, ces travailleurs n’étaient ni des clochards, des « bougnoules », des colonisés ou des indigènes de la République mais des prolétaires membres de l’armée mondiale des prolétaires et d’une Internationale, dont elle a adopté le programme et toutes ses valeurs.

C’est pendant ce processus, que Messali Hadj, permanent du PCF et secrétaire général de l’Etoile Nord Africaine a prononcé à Bruxelles, en février 1927, un discours qui est l’acte fondateur du nationalisme algérien.
Ainsi donc, la colonisation qui est fille du capitalisme (Marx) a développé un double processus : la destruction de la société algérienne par la conquête militaire et l’accumulation primitive en pillant le pays et en exploitant la population (européens compris) mais elle a créé les conditions pour la formation d’un prolétariat luttant pour se constituer en classe ouvrière, ainsi qu’un mouvement national où la question de l’indépendance n’était qu’un mot d’ordre transitoire dans un processus conduisant au socialisme à l’échelle mondiale.

En Algérie, ce processus a été réalisé par l’Etoile Nord Africaine, le PPA, le MNA et l’USTA. Ce mouvement national et syndical a été détruit par tous les gouvernements français (De Léon Blum à De Gaulle) et par le FLN (Melouza, massacre de la direction de l’USTA et de milliers de messalistes, toujours considérés comme des traîtres). Le résultat, c’est la situation de l’Algérie actuelle où le programme démocratique bourgeois (les libertés, l’Etat de droit, l’indépendance du syndicat, la laïcité) n’est pas réalisé. Pire encore, si l’on se réfère au Matin, du 2/12 qui se désole du projet de la construction d’une Mosquée de 3 milliards de dollars et de s’interroger : « L’Algérie sombre-t-elle dans l’islamisme light ? A la faveur de ce Ramadan 2007, plusieurs indices confortent cette thèse d’une rupture entre le champ politique et social, ce dernier étant fortement empreint d’une religiosité institutionnelle qui semble épouser les courbes d’une société de plus en plus islamisée.[…]
La multiplication des preuves d’un glissement progressif vers un corps social fortement islamisé, au sens salafiste du terme, produit un climat pesant en Algérie. »

Il faut se féliciter que les signataires se démarquent de « la repentance », cette exigence du FIS et du GIA, reprise par Bouteflika et que l’on trouve maintenant dans tous les communiqués du GSPC, devenu Al-Quaïda au Pays du Maghreb Islamique (cf. Mathieu Guidère. « Al-Quaïda à la conquête du Maghreb », Ed.du Rocher, 2007).

Il est aussi heureux qu’ils considèrent que des « excuses officielles seraient dérisoires ». Les peuples des pays du Commonwealth n’ont jamais demandé à la reine d’Angleterre de se repentir, puisque c’est du système capitaliste, bien installé maintenant dans tout le monde qu’il s’agit. Les marxistes ont toujours combattu le capitalisme et l’impérialisme, mais sans faire l’apologie des société fondées sur le mode de production asiatique et sans dédouaner les régimes totalitaires des expays colonisés ! Quant à la conclusion finale de la pétition, nous la considérons comme inacceptable « Nous demandons donc aux plus hautes autorités de la République française de reconnaître publiquement l’implication première et essentielle de la France dans les traumatismes engendrés par la colonisation en Algérie ».

Répétons avec Marx, Engels, Rosa Luxembourg et Lénine que la colonisation a déstructuré, ravagé, détruit les sociétés fondées sur le mode de production archaïque, et entraîné d’immenses souffrances,le capitalisme a jeté les bases matérielles et sociales pour la formation d’une classe ouvrière en Chine, aux Indes, en Afrique du Sud et en Algérie qui ont fait entrer ces pays dans le XXème siècle.

« Dépasser le contentieux historique », c’est dire que l’Etoile Nord Africaine, le PPA, le MTLD et le MNA, dont l’histoire sera écrite dans le cadre de la Cité de l’immigration, n’ont pas demandé la repentance ou des excuses à la France, mais qu’ils ont participé dans les rangs de la classe ouvrière à tous les combats contre le capitalisme, le colonialisme, le fascisme et l’antisémitisme en ouvrant la perspective d’un Commonwealth franco-africain, formé de peuples libres et amis.

Disons enfin que l’USTA, dont je fus un cadre, en me définissant comme un juif berbère, ce qui n’a gêné personne, s’est toujours réclamé, à la différence de l’UGTA/ AGTA, rattachées au FLN, de l’internationalisme prolétarien. Ecrire cette histoire, c’est cela dépasser « le contentieux historique »


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DEBUT DECEMBRE 2007
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La formation d’une Europe continentale possédant une économie, un marché intérieur, une monnaie forte,avec une avancée dans le domaine des institutions, d’une politique, d’une diplomatie et d’une défense unitaire,impose de repenser les problèmes de l’espace méditerranéen.
L’échec du processus de Barcelone établit l’utopie d’une Grande Méditerranée et le réalisme d’un Occident méditerranéen.

1. Réalité de l’Occident méditerranéen

●La géographie :
l’Afrique du Nord appartient plutôt à l’Europe qu’à l’Afrique. En effet, entre Marsala en Sicile et Cap Bon en Tunisie, la Méditerranée n’est large que de 156 km. Quant au détroit de Gibraltar, il apparaît comme le chenal d’un fleuve à l’intérieur d’un seul et même pays. Si l’Europe pouvait être délimitée par une frontière naturelle, ce serait incontestablement l’Atlas. Fernand Braudel percevait déjà cette réalité dans ses courants d’échange, les rythmes de navigation et les modes de vie.

Il convient donc d’insister davantage sur la méditerranéité de cette aire que de la rattacher au continent africain ou au monde arabe.

● L’histoire :
Huit siècles durant, Carthage, installée en Afrique du Nord et en Espagne a développé un syncrétisme punico berbère, imprégné de judaïsme. Vainqueur de Carthage, Rome a englobé dans un même cadre géopolitique et culturel, l’Italie, la Gaulle, l’Espagne et l’Afrique du Nord.2 La coupure
ultérieure de l’empire romain entre Occident et Orient a consacré l’existence d’une histoire longue différenciée entre les deux parties de la Méditerranée.

La civilisation romaine qui a marqué l’Afrique du Nord, n’a pas procédé par addition indéfinie d’éléments hétérogènes mais par une refondation permanente de tout le système. La participation des élites berbères à l’administration des cités explique la diffusion et la vitalité d’une civilisation qui perdure dans les villes, après la chute de Rome, l’invasion vandale et la conquête byzantine. La rupture n’intervient qu’avec l’invasion hilalienne au XIe siècle, mais il convient de parler d’islamisation plutôt que d’arabisation, car l’apport démographique arabe, modeste au Maghreb central est presque nul au Maroc. Pendant les « siècles obscurs » qui suivent, le Maghreb berbère, avec son prolongement africain et espagnol s’est construit en intégrant, surtout dans les villes, l’acquis du millénaire punique puis romain. Cette histoire, différenciée de celle du Moyen-Orient arabe lointain, et de l’empire ottoman, est restée rattachée par l’Espagne musulmane à l’Europe, jusqu’en 1492, avec la chute du royaume de Grenade.

●La colonisation :
La conquête de l’Afrique du Nord par la France, l’installation de l’Espagne dans le Rif et celle de l’Italie en Libye, ont refondé, dans un contexte nouveau, l’ancien Occident romain. Il était alors normal que les mouvements nationalistes algériens, tunisiens et marocains cherchent à mener ensemble un combat libérateur. L’Étoile Nord-Africaine (ENA), fondée à Paris, l’exprime déjà dans ses statuts de 1927 : « Toute l’activité de l’ENA doit tendre vers l’unité du mouvement national révolutionnaire nord-africain ».
Malgré la formation du Néo-Destour en Tunisie, de l’Istiqlal au Maroc et du PPA en Algérie,, la revendication maghrébine unitaire est toujours réaffirmée. On la retrouve dans tous les textes programmatiques du PPA, du MTLD puis du MNA, sous la forme d’un Commonwealth francoafricain. Après la seconde guerre mondiale, les trois partis signent, en 1948, un pacte dans le cadre du Comité de libération arabe du Caire. Suivent un Front d’unité et d’action nord-africain en 1952 et un nouveau pacte unitaire en 1954.
Après 1954, le front maghrébin unitaire est brisé, quand la Tunisie et le Maroc indépendants, se démarquent du MNA pour chercher à résoudre avec le FLN le problème algérien dans un cadre nordafricain. C’est ainsi qu’en octobre 1956, la conférence franco nord-africaine, où un large accord existait a été annulée après la capture de l’avion transportant les chefs du FLN3. La Conférence de Tanger du 30 avril 1958 a proposé une même solution. C’est enfin à Tunis que le Conseil national de la révolution (CNRA) puis le GPRA s’installent. Mais la lutte ouverte entre le GPRA-l’ALN et l’armée des frontières ont révélé que le programme du Front était antinomique avec celui de l’ENAPPA-MTLD et que son but n’était pas la Constituante souveraine, le programme démocratique et l’émancipation totale du peuple algérien et l’unité du Maghreb, mais celui formulé au Congrès de la Soummam, à savoir un Etat de type totalitaire, fondé sur un parti unique.

● Le Maghreb indépendant.
La crise de l’été 1962 a accéléré l’exode des Pieds-Noirs et de ce fait, renforcé la dépendance de l’Algérie envers la France. Sur un arrière plan de crise économique, de blocage du processus démocratique et de la sourde rivalité entre le chef de l’Etat Ben Bella et Boumediene, chef de l’armée, la guerre des sables au Sahara entre le Maroc et l’Algérie en 1963, créé une fracture qui deviendra durable, entre les deux pays, depuis 1975, sur la question du Sahara occidental. Malgré son ancienneté, la proximité géographique, la langue, la religion, la culture, les liens historiques, le passage de l’oléoduc algérien en direction de l’Espagne, l’appartenance des deux pays à la Ligue arabe, à l’OUA, etc. Grand Maghreb Arabe (GMA) est un échec, pour des raisons tant économiques que politiques. Mais à l’époque de la mondialisation accélérée, l’intégration régionale est devenue un impératif, d’autant que l’effondrement du mythe de la nation arabe a éloigné le Maghreb du Proche Orient arabe et que l’existence d’une importante communauté nord-africaine en Europe a revitalisé les relations économiques, humaines et culturelles anciennes, dénaturées par la colonisation.
C’est dans ce contexte que prend forme le projet du Congrès mondial amazigh d’unifier un Maghreb refondu sur le socle berbère, Tamazgha devenant elle-même une composante active de l’Occident méditerranéen.

● La France et le pari méditerranéen
Depuis les années 1990 et plus encore depuis 2001, les Français sont préoccupés par les effets de la mondialisation, le déclin de la France, l’insécurité, l’immigration, l’identité nationale, la diffusion de l’islamisme radical dans les quartiers sensibles et la tendance lourde à l’ « hyper terrorisme ». Il est ainsi admis par une large partie de l’opinion que ces questions, étroitement liées entre elles, justifient la formation d’un ministère où la question de l’immigration et de l’identité s’effectue dans le même temps que la proposition faite par le président Sarkozy, de la formation d’un ensemble euro méditerranéen.
La mondialisation a rétréci en effet la souveraineté des États, devenus incapables de s’opposer aux délocalisations, aux restructurations, à la déqualification du travail, au chômage et à l’invasion des produits venus des pays émergents (Inde, Chine) où le coût social est très faible. Désastreuse pour les PME/PMI qui forment la majorité des entreprises françaises, elle menace de ruiner tout l’édifice de la protection sociale.
La crise en Côte d’Ivoire marque la fin de la « mission civilisatrice de la France » en Afrique. En un demi siècle, les différents gouvernements de Paris ont ruiné « l’Union Française » fondée par le général de Gaulle à Brazzaville en 1944.4Après avoir été le « gendarme de l’Afrique », la France cherche à se recycler en « gardien de la paix », mais de façon croissante, les États-Unis et la Chine se substituent en Afrique à l’Europe, non pour la développer, mais pour piller les matières premières dans les pays où ils s’installent. C’est le cas de la politique chinoise au Darfour et en Angola comme du projet américain du Grand Moyen Orient lancé en 2003, pour qui la dimension militaire (en Egypte,Maroc, Algérie), les visées pétrolières (Algérie, Libye, Arabie, Golfe) et la compétition avec la Chine sont manifestes.
Pour éviter la coupure avec le Sud, Bruxelles a impulsé le processus de Barcelone qui visait à créer une zone de libre échange entre les pays de la Méditerranée. Dix ans après son lancement en 1995, des progrès ont été réalisés sur le plan diplomatique et commercial, mais l’ensemble est décevant. Il était en effet naïf de croire que la seule unité géographique du monde méditerranéen (Braudel) permettrait de désamorcer la poudrière du Proche Orient et qu’on pouvait, par des réformes, démocratiser des régimes militaro policiers fondés sur le parti unique, avec l’islam comme religion d’État.
Il n’en reste pas que, sous la pression d’une vague migratoire venue de l’Afrique subsaharienne et les impératifs de la sécurité face à la menace islamiste, la recherche d’une entente entre le Maghreb et les trois pays latins de la rive Nord, apparaît plus réaliste que le boc hétérogène de la mer Bleue.
Ecoutons le ministre espagnol Miguel Ange Moratinos : « Plus que jamais, il faut qu’il y ait une complicité entre l’Espagne et le Maroc, entre la France, l’Espagne et le Maroc et entre la France, l’Espagne, le Maroc et le Maghreb. Il faut sortir de cette attitude de chasses gardées. La modernité en Afrique du Nord exige que la France et l’Espagne se mettent d’accord sur une politique vis-àvis du Maghreb. » (Le Figaro, 5 avril 2004).

En 2005, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, considérait que : « La ligne de démarcation entre la politique étrangère et la politique interne s’atténue de jour en jour et que, par conséquent, il y a des problèmes qui ne peuvent être résolus par un seul pays. Dans ce contexte, la région méditerranéenne est une priorité absolue pour l’Europe, aujourd’hui plus que jamais. Elle est au croisement des plus grands défis : la paix, la sécurité et la lutte contre le terrorisme tout particulièrement, mais aussi le développement, le respect des droits de l’homme, la protection de l’environnement, l’éducation – principalement celle des femmes – ainsi qu’une meilleure gestion de l’immigration. » (Le Figaro, 28 novembre 2005).

La tendance qui se manifeste, c’est que dans le même temps que l’Europe se construit, l’idée de la formation d’un sous-ensemble, celui de l’Occident méditerranéen apparaît indispensable à forger pour résoudre dans ce cadre, une grande partie des problèmes communs qui s’y posent. Pour nous, la construction de cet ensemble géopolitique incombe à deux acteurs principaux : l’Algérie et la France.

●L’Algérie
Depuis 1962, et plus nettement avec Boumediene, l’État algérien a été structuré sur l’armée des frontières, avec le FLN comme couverture civile. Après 1965, l’Islam est devenu religion d’Etat et l’effondrement du modèle algérien de développement, a ramené l’Algérie à la monoproduction des hydrocarbures (98 % des exportations) et à une intégration dans le marché mondial dominé par les Etats-Unis. La rente pétrolière a certes permis de créer les apparences d’un développement économique mais sans croissance réelle ; la part des exportations hors hydrocarbures de l’Algérie demeure toujours insignifiante.

La montée de l’islamisme radical a provoqué une guerre civile de dix ans, faisant 200 000 morts environ. Elle a supprimé les faibles espaces de liberté ouverts en 1988, renforcé le poids de l’armée dans la vie politique et entraîné la fuite des cerveaux et la censure. Malgré la forte augmentation de la rente pétrolière en 2006, Bouteflika s’est révélé incapable de développer les forces productives et satisfaire les besoins de la population (l’éducation, l’emploi, le logement, la santé, la sécurité, la laïcité de l’État, les droits et les libertés démocratiques), ce qui a créé une situation sociale explosive qui se conjugue avec la reprise des attentats islamistes.
De surcroît, la relation entre Paris et Alger, clé de voûte de la politique arabe de la France a pris fin avec le départ de Chirac. Le refus par le président Sarkozy de signer le traité d’amitié franco-algérien,met un point final à la période ouverte par les Accords d’Evian, où l’ingérence de l’Algérie dans la vie politique, les médias et l’université étaient manifestes.
La démographie galopante en Algérie, la crise sociale et la relance du terrorisme par le GSPC affilié à Al Qaïda, combinée aux conséquences de la mondialisation et au refus des pétromonarchies d’investir dans un pays à risque, font entrer l’Algérie dans une impasse tragique. Force est de constater sur la base de ce bilan que s’il existe une continuité entre le FLN et le PPA/MTLD, elle est dialectique, la première étant la négation de la seconde. La solution la plus positive consisterait à renouer avec le programme du vieux mouvement nationaliste.
Créée au sein du PCF et s’inspirant du modèle de la révolution de 1789, l’Etoile nord-africaine luttait en effet pour édifier une nation indépendante, par l’élection au suffrage universel de tous les habitants de l’Algérie (Européens, Juifs et Musulmans) à une Assemblée Constituante Souveraine. Elle avait adhéré au Front populaire et mené dans les rangs de la classe ouvrière, un combat pour la défense des libertés démocratiques en France, une solution démocratique au problème algérien, la laïcité de l’Etat et la lutte contre le fascisme et l’antisémitisme. Le PPA, le MTLD puis le MNA avaient poursuivi ce combat, à l’opposé du FLN partisan de la restauration de l’État algérien avec les principes islamiques (Déclaration du 1er novembre 1954).
Il faut donc commencer par rétablir toutes les libertés démocratiques, procéder à l’élection d’une Assemblée constituante, abroger le régime militaro policier et élaborer des institutions sur les principes de la démocratie. A une seconde étape, le gouvernement élu par la Constituante effectuerait une démarche en direction de Rabat, pour faire du couple algéro-marocain le moteur d’une Afrique du Nord, intégrant la Tunisie et la Libye. Il serait alors possible d’élire une instance supranationale pour regrouper dans un même cadre les économies, les infrastructures, les institutions, les universités, la diplomatie, la culture et la langue, le berbère devenant une langue commune officielle, aux côtés de l’arabe, du français, de l’italien et de l’espagnol.
Cet ensemble étant composé de régions très diverses, l’Afr
ique du Nord pourrait s’inspirer du modèle de l’Etat espagnol, accordant une très large autonomie aux régions. Dans ce cadre, il sera possible de régler la plupart des problèmes qui ne pouvaient trouver de solution dans le cadre de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) créé par le traité de Marrakech du 17 février 1989. Il en est ainsi du problème du Sahara occidental qui empoisonne les relations algéro-marocaines depuis 1975.
Le dégagement de l’Afrique du Nord berbère (Tamazgha) de la Ligue arabe, comme de l’Organisation de la communauté islamique (OCI) marquera la rupture avec l’Orient arabe et islamique. Il sera alors plus facile d’agir pour faire aboutir la démocratie sociale et politique,émanciper la femme et satisfaire les immenses besoins économiques, sociaux, politiques et culturels des populations avec le développement de l’Afrique du Nord et du Sahara.

●La France
La première tâche sera d’en finir avec le passé colonial, avec l’écriture d’une histoire sans repentance et sans aucun tabou par une commission comprenant des historiens de Tamazgha, et des trois pays colonisateurs (France, Espagne, Italie). Elle s’inspirera de la commission franco-allemande qui a permis d’en finir avec le conflit meurtrier qui a saigné pendant trois guerres, les deux peuples.
Sans chercher à établir une histoire officielle et définitive, il est possible de créer des universités et des centres de recherches ouverts à tous les étudiants, élaborer une base de données commune, des centres de formation pour les enseignants et un conseil scientifique commun. Les moyens audio visuels et informatiques en plein essor, la proximité des pays de cet ensemble et l’emploi de langues et de modes de vie familiers, héritage de la période coloniale, faciliteront la réalisation de cette entreprise. Ecriture honnête de l’histoire mais aussi création de centres d’études et de recherches dans tous les autres domaines de l’économie, des sciences et des techniques.
En liaison étroite avec l’Algérie, la France devrait, pour marquer sa rupture avec le passé colonial, proposer la formation d’une Commission des 3+3 pour dresser un état des lieux sur l’ensemble des problèmes et jeter les bases d’un cadre politique commun. L’objectif visé est de parvenir, de façon progressive et maîtrisée à la signature d’un traité, analogue au traité de Rome de 1957, de fondation de l’Occident méditerranéen.
Compte tenu de son passé nord-africain et saharien, comme de sa place en Europe et dans le monde, la France pourrait soumettre à la discussion quelques propositions fondatrices de ce nouvel ensemble :

Propositions

Dans la perspective d’un ensemble structuré, on peut poser les premiers jalons :
►Un organe financier commun, les revenus des hydrocarbures (Algérie et Libye) n’étant plus évalués en dollars mais dans une monnaie euromed spécifique et commune. Versés dans une Banque centrale gérée de façon paritaire, elle serait à la disposition de l’organisme politique commun qui lancerait
un plan d’investissement et de développement de l’Afrique du Nord avec comme objectif :
● l’irrigation du Sahara.
Le Sahara n’est absolument pas une terre morte. En fait, la neuvième partie seulement de son sol est stérile.6 De nombreux vestiges du néolithique et du paléolithique prouvent que les régions arides actuellement étaient jadis habitées. Même à l’époque romaine, dans la région comprise entre le Niger
et l’Atlas, vivait une population assez dense. L’irrigation du Sahara est très possible avec l’utilisation de l’eau du Congo et du Niger7, d’une part et l’utilisation des techniques utilisées en plein désert, dans des pays comme Israël.
● Le développement d’un réseau ferroviaire et routier (Agadir- Colomb Béchar -Tunis) et transsaharien (Oran -Bou Arfa- Colomb Béchar -Bidon V- Tombouctou- Gao- Dakar). Sa construction ne présente aucun problème, des travaux sérieux ayant montré qu’une ligne de 3 500 kms pouvait être construite sur un terrain solide et plat.
● Le développement industriel des confins algéro-marocains et algéro-tunisiens, grâce à l’existence des ressources hydrauliques et minérales, de l’énergie avec le charbon, le gaz et le pétrole saharien et l’énergie solaire, la facilité des transports vers Oran, Agadir ou Casablanca, une population nombreuse jeune et industrieuse, des villes importantes, etc.9
●l’aménagement du territoire Le déplacement des centres de l’agriculture et de l’industrie vers les Hauts Plateaux, les confins,l’Atlas tellien et saharien apportera de très grands changements. La réoccupation de l’intérieur
aujourd’hui largement abandonné, avec une désertification croissante, entraînera un déplacement des populations qui se concentrent sur la côte avec tous les problèmes posés par l’urbanisation sauvage (le logement, la santé, l’emploi, la pollution), vers des espaces plus larges. Cette inversion des flux
migratoires, du Tell côtier en direction de l’Europe vers le Centre et le Sud posera en termes la question de l’immigration. Non seulement, les nord-africains resteront chez eux, mais de nombreux français issus de l’immigration seront incités à rejoindre les pays de leurs parents, tout en gardant s’ils
le veulent la nationalité française, au lieu de mal vivre dans les banlieues des grandes villes.
► Une réforme profonde de l’agriculture et de l’élevage pour nourrir la population croissante,procurer des matières premières à l’industrie et améliorer la balance commerciale par la diminution des importations de produits agricoles. Il s’agira aussi de supprimer les trop grandes disparités
économiques et sociales entre les régions littorales aux riches cultures d’exportation et les régions intérieures réduites aux cultures vivrières et à l’élevage extensif. Un tel développement industriel et agricole, garanti par le gaz et le pétrole saharien (Algérie, Libye), donnera aussi une impulsion formidable à la création dans tous les domaines de centres de
formation et d’universités, de naissance de nouvelles villes et de réaménagement du territoire au sud,et d’un ensemble économique, humain et culturel dont le poids politique sera considérable.
► La mise en place de ce processus implique la création d’un passeport commun, permettant la libre circulation des personnes dans cet espace, l’accès au travail, à l’enseignement supérieur, etc. Il n’y aura pas de dissolution de chaque nation dans l’Occident méditerranéen, mais l’existence d’une carte
verte permettra, de contrôler la circulation des individus dans cet espace, de leur attribuer des droits sociaux, la gestion s’effectuant par des organismes paritaires. A la différence des Etats-Unis qui cherchent à intégrer l’Afrique du Nord et le Sahel dans une politique sécuritaire et de rivalité avec la Chine, l’Occident méditerranéen rendra possible la formation
d’une politique de défense et de sécurité profitable à tous. Cela suppose la mise sur pied d’écoles militaires, l’unification des matériels, et la formation de forces militaires mixtes (elles existaient bien dans l’armée d’Afrique), la France fournissant le parapluie atomique pour protéger l’ensemble. Dans le contexte présent, où la mondialisation accélérée impose de repenser les problèmes comme le développement, l’immigration, la sécurité, l’énergie qui ne peuvent être réglés dans le cadre d’un seul Etat, nous proposons une réflexion qui s’appuie sur les études faites à la commission économique et sociale du syndicat algérien USTA pour fonder un Commonwealth franco-africain, sur la masse des travaux effectués sur la communauté franco-africaine, l’Eurafrique, l’OCRS et ceux, plus récents sur le processus de Barcelone. Notre objectif est double : dépasser la fracture coloniale et avancer des propositions pour la formation d’une Afrique du Nord berbère (Tamazgha) et dans la perspective d’un
Occident méditerranéen.

Notes
1. Fernand Braudel. « La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II. », A.Colin, 1966 ; Birot (P) et Dresh (P). « La Méditerranée et le Moyen-Orient. I. La Méditerranée occidentale. 1953.
2. Louis Harmand. « L’Occident romain : Gaule-Espagne-Bretagne-Afrique du Nord », Payot, 1960 ; Christophe Hugoniot. « Rome en Afrique. De la chute de Carthage aux débuts de la conquête arabe » Flammarion (Champs Université).
3. P.V de l’interrogatoire d’Ahmed Ben Bella après son arrestation à Alger, le 22 octobre 1956, in Philippe Bourdrel. « La dernière chance de l’Algérie française », Albin Michel, 1996.
4. Glaser Antoine et Stephen Smith. « Comment la France a perdu l’Afrique », Calmann-Lévy, 2005.
5. Michel Vauzelle. « Le dialogue euro méditerranéen après Barcelone : Bilan et perspectives ». Assemblée nationale, 23 juin 1999.
6. Jean Despois –René Raynal. « Géographie de l’Afrique du Nord-Est », Payot, 1967 ; Capot Rey R. « L’Afrique blanche française, II, Le Sahara », 1953 ; Jonchay (du). « L’industrialisation de l’Afrique » ; Hisnard (H). « Le Maghreb », PUF, 1966.
7. Anton Zischka . « Afrique, complément de l’Europe, Laffont, 1952 (Cartes)
8. En plein milieu du désert du Néguev, des fermes aquacoles connaissent un succès étonnant. Le Courrier international, n°847, 25 au 31 janvier 2007.
9. Marc-Robert Thomas. « Sahara et communauté », PUF, 1960.

 

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OCTOBRE 2007

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> Algérie : non à une histoire officielle !

Le président a refusé de signer le traité de paix/repentance exigé par Bouteflika et son islamiste premier ministre Abdelaziz Belkhadem, car a-t-il dit : « nous n’avons pas exigé de l’Allemagne un traité de repentance pour construire ensemble l’Europe ». Pendant la campagne électorale, le candidat maintenant élu, s’est engagé à réhabiliter les pieds-noirs et les harkis et remettre à plat l’histoire de la guerre d’Algérie, dans sa phase finale, (après la signature des accords d'Evian), en écartant le projet de décret Mekachera d’un travail commun entre historiens français et algériens, piloté par Benjamin Stora.

Cette position a scandalisé Gilles Manceron, secrétaire de la Ligue de l’Enseignement, car :

« M.Sarkozy endosse la vision nostalgique de la colonisation, des pieds-noirs extrémistes, et fait ainsi resurgir l’article 4 de la loi du 23 février sur les aspects positifs de la colonisation qui a pourtant suscité une vive politique. »

Benjamin Stora est encore plus indigné. Après un appel martial à la résistance des intellectuels qui a fait tchoufa, il écrit dans Le Monde du 21 avril :

« Cinquante ans plus tard, écarter toute possibilité que des historiens français et algériens puissent travailler ensemble, c'est soutenir qu'aucun compromis n'est possible. On ne peut demander aux Algériens de reconnaître leurs exactions alors que nous n'en reconnaissons aucune dans notre histoire » car depuis 1984, il a ouvert la voie d'un travail commun avec Mohammed Harbi.

Travail commun de deux anciens apparatchiks, qui se sont employés à écrire une histoire politiquement correcte de la guerre d'Algérie qui a failli devenir officielle. C'est ce que révèle le général Maurice Faivre qui dénonce dans l’Algérianiste de juin 2007,

« le projet de décret Mekachera, dans le cadre de la Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie et dans la perspective de la mémoire partagée, créant une commission d'historiens pilotée par Benjamin Stora avec quatre historiens algérien. »

Ainsi donc la polémique lancée par un bataillon d'historiens engagés et d'idiots utiles contre l'article 4 de la loi du 23 février n'avait pour but que de faire valider par Jacques Chirac et Bouteflika, une histoire officielle, celle que Stora-Harbi ont écrit ensemble, avec des dignes représentants des universités algériennes, dont le mérite est ignoré. C'est ainsi que selon le Quotidien d'Oran du 6 juin

« Le classement 2007 des meilleures universités par l'Observatoire mondial des activités scientifiques et académiques de l'Institut de l'Université Jisao Tong de Shanghai (l à 7 000) classe l'Algérie à la 6 995ème place sur les 7 000 dans le monde soit parmi les 5 derniers. En Afrique, nous sommes loin derrière la Tunisie et le Maroc, avec l'université de Tlemcen qui fait exception, arrivant à la 39ème place, Batna à la 48e et l'université de Boumerdés 63è; Annaba, Alger, Sétif, Tizi-Ouzou, Constantine, Oran, pourtant supposées fleurons de nos universités, n'existant même pas. Cela explique en partie que, selon le rapport de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement de juin 2007, nous sommes classés, en termes d'efficacité économique, reflet de la mauvaise gouvernance, le dernier au Maghreb, derrière la Tunisie, le Maroc, la Libye et la Mauritanie. »

Dans un autre numéro du Quotidien d'Oran, (20/8/07), Mohammed Guetarni, professeur à l'université de Chlef déplore « le naufrage de l'université algérienne ».

Comment cela est-il possible puisque depuis 1984, les écrits de Benjamin Stora, en français et en arabe, sont très largement diffusés dans les médias algériens et que ses livres sont considérés à l'université - de Constantine par exemple - comme des ouvrages de référence.

En annulant le projet Mekachera, Sarkozy nous a rendu service. La tiers mondialisation de l'université française n'aura pas lieu et l'histoire de l'Algérie française et de la guerre d'Algérie seront écrites plus sérieusement. On l'a échappé belle !

 

Jacques Simon (historien)

8 octobre 2007

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SEPTEMBRE 2007

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> Il y a 50 ans / Le massacre ignoré de syndicalistes algériens (USTA) à Paris

Vérité et justice pour Abdallah Filali, Ahmed Bekhat, Hocine Maroc et les militants de la Fédération de France de l'Union syndicale des travailleurs algériens (US'TA)

La cité de l'immigration, en créant maintenant un espace démocratique, permet l'écriture d'une histoire scientifique de l'émigration algérienne, partie composante de l'histoire démographique, économique, sociale, militaire, politique et culturelle de la France et donc de la construction de son identité.

Le cinquantenaire du massacre de la direction du syndicat algérien USTA en France par les tueurs du FLN, en septembre-novembre 1957, offre une excellente occasion pour faire connaître cette page noire de la guerre menée par le FLN en France pour détruire le mouvement syndicaliste algérien, préalable à l'instauration d'un régime militaro policier en Algérie.

 

Précisons :

Depuis la création de l'Etoile Nord-Africaine en 1926, les travailleurs algériens ont largement investi la CGTU puis la CGT. Ils ont participé à toutes les grèves, manifestations et combats de la classe ouvrière. Ils ont lutté pour les salaires et les droits sociaux des travailleurs, la défense des libertés démocratiques et contre le fascisme, le franquisme et l'impérialisme. En 1936, l’Etoile adhère au Front populaire mais refuse le projet Blum-Viollette. L'Etoile interdite, le Parti du Peuple Algérien (PPA) qui lui succède en mars 1937 mène le même combat pour l'émancipation du peuple algérien en alliance avec la classe ouvrière française.

Pendant la guerre, Messali Hadj et la direction du parti refusent toute collaboration avec Vichy et défendent avec Ferhat Abbas dans le cadre des Amis du Manifeste et de la liberté (AML) le droit pour les Algériens d'élire une Assemblée Constituante. Après la répression sanglante de mai 1945 (Sétif et Guelma), le MTLD qui succède au PPA reste fidèle à son programme et à l'alliance avec la classe ouvrière française. Les travailleurs algériens adhérent massivement à la CGT qu'ils ne quittent qu'en février 1956 pour construire un syndicat algérien indépendant, l'USTA. Après le vote des pouvoirs spéciaux le 11-mars 1956, la répression s'abat sur les principaux cadres de l’USTA. Mais après la libération d'Abdallah Filali, l'un des principaux dirigeants du nationalisme algérien, l'USTA se recompose. Elle publie La Voix du Travailleur Algérien et organise pour le ler mai des meetings et des rassemblements dans toutes les villes et régions où l'immigration algérienne est implantée.

En juin 1957, l'USTA tient son premier Congrès à Paris. Pendant trois jours, 325 délégués représentant plus de 25 000 adhérents discuteront du rapport d'activité et d'orientation du secrétaire général Ahmed Bekhat. Ils adopteront une série de résolutions qui établissent que l'USTA était bien un syndicat ouvert à tous les travailleurs (européens et musulmans), démocratique et indépendant de tout Etat et de tout parti. LUSTA se réclamait de l'internationalisme prolétarien et proposait de mener avec la classe ouvrière de France un combat commun contre la guerre et l'impérialisme. L'USTA se prononçait pour une solution démocratique au problème algérien (la Table ronde) et pour de profondes réformes de structures de l'Algérie indépendante.

Soumise à une répression permanente, l'USTA dut aussi affronter les commandos du FLN qui procédèrent à l'automne 1957 à l'extermination de sa direction. Ce massacre suscita stupeur et indignation chez tous ceux qui désapprouvaient l'emploi de la violence pour régler les divergences d'opinion entre organisations se réclamant de la classe ouvrière et de la démocratie.

La Fédération de l'Education Nationale, des intellectuels anticolonialistes (Daniel Guérin, André Breton, Albert Camus. Edgar Morin), la Ligue des Droits de l'Homme, Yves Déchezelles et une centaine de syndicalistes de la CGT, CGT-FO. CFTC organisèrent au lendemain des obsèques de Abdallah Filali et Ahmed Bekhat un « Comité pour la défense des syndicalistes algériens ». Ce Comité dénoncera la répression des forces de l'ordre contre l'USTA et l'action des commandos du FLN.

Le refus de Nicolas Sarkozy de signer le traité d'amitié, exigé par Abdelaziz Bouteflika soutenu par la confrérie des Repentants, pour consolider son régime, rejeté massivement par le peuple algérien, est un fait majeur. Il ferme la parenthèse ouverte le 19 mars 1962, qui, avec la signature des Accords d'Evian, a créé les conditions pour un exode massif des Français d'Algérie, le massacre de milliers de harkis et l'avènement d'un régime totalitaire avec l'Islam comme religion d'Etat.

Le Guide sur les sources pour l'histoire de l'immigration en France, de 1830 à nos jours, édité par la Bibliothèque nationale (BNF) constitue un précieux outil de travail : il fournit la liste de plusieurs collections de journaux, dont ceux de l'USTA comme ceux de l'Amicale des travailleurs algériens (AGTA), subordonnée au FLN. Elle va permettre aussi, comme je le souhaite, l'ouverture d'un débat entre des historiens comme Benjamin Stora, Mohammed Harbi, Gilbert Meynier, René Gallissot, etc, qui défendent les thèses du FLN sur l'émigration comme sur la guerre d'Algérie et moi-même, historien, auteur d'une thèse sur Messali Hadj dont j'ai soutenu tous les combats du PPA, depuis 1950, puis ceux de la fraction PPA du MTLD et du MNA, en Algérie et en France. En mars-mai 1956, j'ai participé à la construction de la Fédération de France de l'USTA, et rédigé plusieurs articles de la Voix du Travailleur Algérien, dirigé la Commission économique et sociale du syndicat et assuré le secrétariat du 1er Congrès de l'USTA en juin 1957. C'est avec satisfaction que j'ai noté que le Guide de la BNF avait mentionné mes deux livres sur l'histoire longue de l'émigration algérienne ainsi que trois de mes livres sur l'USTA.

Les historiens épris de vérité ne pourront que soutenir l'ouverture d'un tel débat et même si mes contradicteurs se dérobent, comme c'est très probable, par crainte d'être confondus, on ne pourra plus ignorer que c'est le FLN qui a lancé le terrorisme en France, qu'il a massacré un millier de syndicalistes et qu'il a pressuré et caporalisé l'émigration ouvrière algérienne, avec la complicité du PCF.

Quant aux pétitionnaires qui veulent jeter l'opprobre sur la Cité de l'immigration, ils ne pourront pas, sans se discréditer, parler de l'histoire de l'immigration sans condamner le massacre de toute la direction de l'USTA, comme l'ont fait Daniel Guérin, Albert Camus, André Breton, Edgar Morin, Yves Déchezelles et la Fédération de l'Education nationale, restés fidèles aux valeurs du mouvement ouvrier.

 

Jacques Simon

25 septembre 2007

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JUIN 2007

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>Une invention : la guerre des mémoires

Le 23 mai 2006, le conseil municipal de Perpignan a voté la réalisation d’un Centre de documentation sur la présence française en Algérie. La décision prise par une municipalité de créer un tel centre, dont le contrôle public interdit la propagande, est une incitation à la création d’autres centres – comme l’histoire du syndicalisme algérien en France, de la participation des étrangers à la défense de la France, à son histoire économique, sociale et culturelle, sportive, etc.

Cette activité s’inscrit dans la démarche de la recherche de l’identité française, du mode de fabrication de la France, du « creuset » français dont parle Gérard Noiriel… A ce sujet signalons deux outils de travail d’une grande qualité : « Les étrangers en France : Le Guide des sources d’archives publiques et privées, XIXè-XXè siècles » en 3 volumes (Génériques-Archives de France, 1999) et le guide « Des sources pour l’histoire de l’immigration en France, de 1830 à nos jours », Bibliothèque nationale de France, 2006.

Il convient de noter que ces centres d’intérêt public, vont alimenter l’activité de la Cité de l’immigration, elle même placée sous la tutelle du « Ministère de l’immigration, intégration, identité nationale et codéveloppement. » comme les universités, Normale Sup. ou le CNRS sont placés sous la tutelle du Ministère de l’Education Nationale.

Ces précisions faites, on ne peut que s’interroger sur l’intention formulée dans un document rédigé par Eric Savarèse : « Rapport de recherche sur le projet de réalisation, à Perpignan, d’un site public de documentation et d’exposition sur l’Algérie : en finir avec les guerres de mémoires algériennes en France ? » Pourquoi dénaturer la création de ce centre et vouloir en faire un lieu de pacification des mémoires concurrentes, pure invention des historiens engagés pour défendre le traité de paix, exigé par Bouteflika et maintenant enterré ?

Eric Savarèse défend les thèses qu’il a développé dans ses ouvrages, en particulier : « L’invention des Pieds-Noirs », Séguier, 2002 en continuité avec l’essai de Benjamin Stora : « La gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie », La Découverte1992. Ce fameux livre peut être considéré comme le Manifeste de l’obscurantisme sur la guerre d’Algérie, dans la mesure où Stora a déplacé la recherche du champ de l’histoire vers celui des mémoires avant d’inventer celui de la guerre des mémoires.

Quand on parle de guerre des mémoires, de quoi s’agit-il ? De celles des harkis (collabos), des Pieds-Noirs (OAS), des messalistes (traîtres), diabolisés, reléguées dans l’enfer de l’opprobre et expulsés des manuels scolaires, la seule résistance admise étant celle du FLN. Ces minorités opprimées et réfugiées en France ne sont pas en guerre mais elles réclament simplement justice et vérité. Leur histoire devenue une composante de l’identité française trouvera naturellement sa place dans la Cité de l’immigration.

Le rapport de Savarèse, prétentieux et quelque peu obscur mérite cependant la critique sur plusieurs points.

> « le terme de guerre d’indépendance, c’est à dire de guerre pour obtenir l’indépendance, peut être choisi pour dépassionner le récit »

Réponse. Pas d’accord. On parlera plutôt de révolution, c’est-à-dire l’entrée des masses algériennes sur la scène de l’histoire pour détruire le système colonial et changer leur destin. Le mouvement national algérien (L’Etoile Nord-Africaine, le PPA, le MTLD et le MNA) ont toujours lutté pour abroger le colonialisme et édifier la nation algérienne par des élections libres de tous les habitants de l’Algérie (Européens, Juifs et Musulmans), dans un processus menant à l’unité des peuples d’Afrique du Nord et à la formation d’un Commonwealth franco-africain, en liaison avec la classe ouvrière et le peuple français ami. C’est le FLN qui voulait construire un Etat algérien fondé sur le parti unique et qui parle de « guerre de libération nationale » pour posséder une légitimité. Parler de révolution, c’est aussi considérer que le massacre de Melouza, d’un millier de cadres et militants syndicalistes algériens de l’USTA, et l’écrasement des wilayas de l’intérieur par l’armée des frontières constitue une contre révolution.

> Le Rapport propose une périodisation de l’histoire de l’Algérie française en trois moments :

« c’est à dire en premier lieu celle qui s’étend de 1830 à 1871, soit le temps de la conquête et de l’administration militaire du territoire (période 1), en second lieu celle du temps « pacifié » de l’Algérie française (période 2, entre 1871 et 1945), enfin celle comprise entre 1945 et 1962, qui englobe la marche à la guerre, le conflit et l’accession à l’indépendance. »

R : Ce découpage qui s’inspire de l’histoire officielle algérienne n’est pas pertinent. Pour Karl Marx, Frederic Engels, Rosa Luxembourg qui ont étudié la formation et l’accumulation du capital et la colonisation, la conquête de l’Algérie, de l’Inde et de la Chine furent des entreprises très meurtrières et ils ont dénoncé la violence employée pour piller les territoires, asservir les populations et les réduire à la misère. Ils ont expliqué que l’accumulation du capital en Angleterre s’était effectué avec une brutalité inouïe, les fermiers, leurs femmes et leurs enfants, transformés en prolétaires avaient été férocement exploités dans les bagnes industriels. Mais, en détruisant le mode de production archaïque sur lequel reposait la société tribale, le capitalisme a engendré avec le prolétariat sa propre négation. Il est significatif que l’Etoile Nord-Africaine, ait été fondée en France au sein de l’émigration ouvrière par le PCF sur décision du Comintern et que tous les Etoilistes étaient membres de la CGTU.

Donc deux processus : celui de la destruction de la société algérienne par la conquête militaire et la formation du capitalisme avec un prolétariat luttant pour se constituer en classe ouvrière et s’organisant dans un mouvement national fondé sur les principes de l’internationalisme prolétarien et pour son émancipation totale, la question nationale n’étant qu’une étape et non pas la finalité dans ce processus.

> On ne peut qu’être inquiets de voir Eric Savarèse et son équipe se transformer en casques bleus pour mettre fin aux guerres des mémoires et proposer « la formation d’un « conseil scientifique, avec à sa tête un professeur réputé pour ses compétences scientifiques, et d’autres universitaires […] C’est ledit conseil qui concentre l’essentiel des pouvoirs de décisions, même s’il n’est pas le seul architecte ou maître d’½uvre du projet. »

D’après la philosophie du Rapport, « le professeur réputé » ne sera pas sélectionné parmi les historiens qui veulent écrire l’histoire des masses algériennes partant à l’assaut du ciel pour devenir des hommes libres. Parmi ces combattants de la liberté, il y avait des hommes comme Albert Camus qui a dénoncé les attentats aveugles commis par les tueurs du FLN contre la population civile ainsi que les crimes du FLN contre la direction de l’USTA dont il était l’ami.

Proposons à Eric Savarèse et aux historiens, partisans de l’écriture d’une histoire scientifique de la guerre d’Algérie, de célébrer le cinquantenaire du 1er Congrès de l’USTA tenu à Paris (28-30 juin 1957). Je peux les y aider puisque j’en ai assuré le secrétariat et ils peuvent lire mon livre publié chez l’Harmattan et référencé dans le guide de la Bibliothèque Nationale.

Cessons de se battre contre les moulins à vent de la guerre des mémoires. Acceptons l’enterrement du traité de paix, tant désiré par Bouteflika pour que l’histoire mixte franco-algérienne soit politiquement correcte. Revenons avec tous les historiens, chercheurs et acteurs à un débat scientifique sur cette période

Le centre de Perpignan est selon nous, un excellent cadre à cet effet.

Jacques Simon le 14 juin 2007

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MAI 2007

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> Lisons encore Albert Camus

Texte cité au procès du général Jouhaud.

 

Il faut cesser aussi de porter condamnation en bloc sur les Français d'Algérie. Une certaine opinion métropolitaine doit être rappelée à la décence. Lorsqu'un partisan français du F.L.N. ose écrire que les Français d'Algérie ont toujours considéré la France comme une prostituée à exploiter, il faut rappeler à cet irresponsable qu'il parle d'hommes dont les grands-parents, par exemple, ont optée pour la France en 1871 et quitté leur terre d'Alsace pour l'Algérie, dont les pères sont morts en masse dans l’est de la France en 1914 et qui, eux-mêmes, mobilisés dans la dernière guerre n'ont cessé, avec des centaines de mille Musulmans de se battre sur tous les fronts pour cette prostituée.

Apres cela on peut sans doute les juger comme des naïfs, il est difficile de les traiter de souteneurs. Je résume ici l'histoire des hommes de ma famille qui, de surcroît, étant pauvres et sans haine, n’ont jamais exploité ni opprimé personne.

Mais les trois quarts des Français d'Algérie leur ressemblent, et à condition qu'on leur fournisse des raisons plutôt que des insultes, sont prêts à admettre la nécessité d’un ordre plus juste et plus libre. Il y a eu sans doute des exploiteurs en Algérie, mais plutôt moins qu'en métropole et le premier bénéficiaire du système colonial est la nation française tout entière. -

Si certains Français considèrent que par ses entreprises coloniales, la France, et elle seule au milieu des nations simples et pures est en état de péché historique, ils n’ont pas à designer les Français d'Algérie comme victimes expiatoires : crevez, vous l'avez bien mérité. Ils doivent s'offrir eux-mêmes à l'expiration.

 

>Jean Daniel : l’anti-Camus

Le 13 mai 2007, Jean Daniel, écrivain, journaliste et directeur du Nouvel observateur a présenté à la Bibliothèque nationale d’Alger son dernier ouvrage : « Comment résister à l’air du temps ».

Jean Daniel a proposé quelques clés pour souligner et justifier « l’algérianité » d’Albert Camus : sa condition sociale très modeste, son refus du totalitarisme, la découverte du pouvoir de l’écriture. Il a souligné par ailleurs une philosophie de la vie empreinte de « cette force créatrice, même quand on ne lui trouve pas de sens, surtout parce qu’elle produit la beauté et qui ne peut naître que dans l’absurde ».

Face à la guerre d’Algérie, Camus considérait, selon Daniel, qu’aucune cause si juste soit-elle ne justifiait la violence. Interprétation douteuse, car Camus, partisan de l’émancipation totale du peuple algérien, ne condamnait que le terrorisme aveugle du FLN.

A propos de sa rupture avec les intellectuels français partisans du FLN, la cause serait selon Daniel « parce qu’il se considérait profondément comme un Algérien pauvre, qui ne devait rien à l’intelligentsia parisienne ».

Sûrement pas, car Camus avait établi des relations suivies avec les surréalistes, les internationalistes et des poètes comme René Char et il s’opposait avec vigueur aux staliniens à Jean-Paul Sartre et au lobby parisien du FLN (Express, Témoignage Chrétien, France Observateur, le Monde) dont Jean Daniel était un membre actif.

J’ai eu l’occasion de rencontrer A.Camus au siège de L’Union Syndicale des Travailleurs Algériens (USTA), rue de Paradis, au lendemain de son premier congrès (juin 1957) dont j’ai assuré le secrétariat.

Albert camus connaissait la tragédie de Mélouza et les méthodes de terreur employées par le FLN pour exterminer le messalistes. Il avait fait la différence entre le MNA qui combattait pour une Constituante et considérait les Juifs et les Européens comme des compatriotes et le FLN qui luttait pour la restauration de l’Etat algérien en le fondant sur les principes islamiques. Il dénoncera par la suite le massacre des syndicalistes de l’USTA par les tueurs du FLN.

Mais pourquoi ce voyage à Alger, au lendemain de la victoire Nicolas Sarkozy et en pleine campagne des élections algériennes ? la réponse est claire : apporter son soutien à Bouteflika dont le pouvoir est vacillant. Cela apparaît à la lecture d’un passage de son éditorial du 24/5 intitulé : « Vérités algériennes ».

- l’énorme rente pétrolière aurait servi « à de belles réalisations, comme le nouvel aéroport d’Alger… » Mais pas à créer un centre hospitalier de grande classe. C’est ainsi que selon Le Point du 24 mai, Bouteflika est venu, secrètement au Val de Grâce, à la fin 2006 et au mois de mars 2007.

- La corruption ne serait pas le fait de Bouteflika mais de certains membres de son entourage.

- « cet homme au parcours remarquable, qui avait puisé une large vision internationale dans une longue traversée du désert est arrivé au pouvoir… ». Mohamed Bentichou a démontré le contraire dans un livre remarquable : « Bouteflika : une imposture algérienne ». Pour lui le chef de l’Etat est un noceur, sans culture, sans envergure, intrigant et capricieux. Il serait : « l’enfant adultérin d’un système grabataire et d’une démocratie violée ». Page 13

- « Bouteflika a gagné sa légitimité en faisant approuver par référendum une politique de réconciliation qui s’imposait après des années d’une guerre civile soldée par 200 000 morts ». Cette approbation de l »amnistie accordée aux terroristes a été vivement critiquée par des journaux comme « Le Soir d’Algérie ».

Et ce coup de brosse à reluire final

« En tout cas, aujourd’hui, le président s’est mis en tête de promouvoir des réformes spectaculaires. On ne voit pas, pour le moment, d’autre leader qui pourrait incarner le salut de l’Algérie ».

Albert camus aurait parlé d’élections libres à une Assemblée Constituante comme solution à la crise institutionnelle actuelle de l’Algérie.

Ce n’est pas que la vieillesse qui est un naufrage pour Jean Daniel !

Jacques Simon

30 Mai 2007

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> Immigration et identité : une polémique sans objet

Pendant la campagne des présidentielles, l’annonce par le candidat Sarkozy de la formation d’un «Ministère de l’immigration et de l’identité nationale » avait provoqué une polémique, vite calmée après la parution d’un sondage, le 16 mars, faisant état de l’approbation de cette proposition par une large opinion. Nicolas Sarkozy victorieux, la polémique a été relancée. Le jour même de l’annonce de la création d’un ministère de « l’immigration, de l’intégration, de l’identité et du codéveloppement », huit historiens et démographes ayant participé au projet de la Cité nationale de l’immigration démissionnent de leurs fonctions de l’institution, alors même que la Cité doit ouvrir ses portes cet été.

A la lecture du communiqué des démissionnaires, on se frotte les yeux. Nulle part, il a été dit ou écrit que la Cité de l’immigration sera rattachée à ce Ministère qui serait, de surcroît chargé d’écrire une histoire officielle de la France.

Pourquoi faire un procès en sélectionnant Immigration et Identité, sans parler de l’intégration et du codéveloppement ? N’y aurait-il aucun lien entre ces questions ? On peut au moins poser la question. Est-il par ailleurs bien sérieux de « saluer le remarquable travail effectué depuis plus de trois ans par Jacques Toubon et son équipe. Nous avons pu y être associés dans un esprit de liberté intellectuelle et d’indépendance » et abandonner ses responsabilités, tout en restant en embuscade dans la Cité ? N’était-il pas plus efficace de faire des propositions constructives ou alternatives quand les textes supposés de l’intégration de la Cité dans le Ministère seront publiés ?

L’abandon du traité de paix franco-algérien par Nicolas Sarkozy et Bouteflika clarifie pourtant la situation. En effet, dès lors que l’histoire de l’Algérie française, incluant la guerre, ne sera plus écrite majoritairement par une équipe d’historiens, sous influence du FLN, celle de l’immigration algérienne, en particulier depuis la fin du XIXè siècle, quand elle devient ouvrière, structurelle et insérée dans l’appareil de production et la société française, devient alors une composante de l’histoire de France.

Dans un livre « L’immigration algérienne en France, des origines à l’indépendance », Paris/Méditerranée, 2000, nous avons montré que si l’Etoile Nord-Africaine avait fondé le nationalisme algérien en 1927, la participation des Etoilistes à la vie économique et à la lutte des classes (grèves, manifestations, action syndicale) relevait de l’histoire du mouvement social en France.

Après 1962, l’histoire des deux pays n’est plus la même, et il est abusif de rattacher l’immigration et ses descendants à l’histoire de l’Algérie.

Il faut regretter la démission des Huit historiens et se satisfaire de leur maintien dans la Cité. Ayant manifesté un sens aigu de l’indépendance, de la démocratie et de l’objectivité, ils ne peuvent que s’intéresser à l’immigration algérienne, tant négligée dans leurs travaux. Il en est ainsi des livres de

? Patrick Weil : « La France et ses étrangers. L’aventure d’une politique de l’immigration, 1938-1991 », Calman-Lévy, 1991 ;

? Gérard Noiriel, qu’il s’agisse du « Creuset français. Histoire de l’immigration XIX-XXè siècle », Le Seuil, Points/Histoire, 1988 ; « Les ouvriers dans la société française. XIX-XXè siècle », Le Seuil, Points/Histoire, 1986 ; « Réfugiés et sans papiers. La République face au droit d’asile, XIX-XXè siècle, », Pluriel, 1998. Dommage car Gérard Noiriel avait montré dans son excellent livre : « Longwy, immigrés et prolétaires, 1880-1980 », PUF, 1984, comment la taylorisation du travail avait permis l’insertion des travailleurs immigrés dans le procès de production.

?Vincent Viet : « La France immigrée. Construction d’une politique, 1914-1997 », Fayard, 1998. Un bref chapitre est consacré à la guerre d’Algérie en métropole, mais rien sur le syndicalisme algérien.

 

Ayant participé à la création de la Fédération de France de l’Union syndicale des travailleurs algériens (USTA) en mars 1956, écrit régulièrement dans son organe « La Voix du travailleur algérien » et assuré le secrétariat à son 1er Congrès en juin 1957, je suis disposé à raconter cette histoire dont j’ai publié quatre volumes, à nos historiens, très soucieux de vérité et d’indépendance.

Il ne fait aucun doute que l’écriture en commun d’une telle histoire, dans le respect de la diversité des opinions, dès lors qu’elles sont fondées, ne manquera pas d’intéresser un large public et faire de la Cité de l’immigration un centre culturel de grande qualité.

Evitons la polémique et la grande peur du loup, surtout quand il n’existe pas !

25 mai 2007

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> ALGERIE : REQUIEM POUR UN TRAITE

Le mois de mai n’a jamais été propice pour aborder sereinement les relations franco-algériennes, en particulier quand une crise sociale et politique ébranle le régime politique algérien.

En mars 2003, lors d’une visite triomphale en Algérie, Jacques Chirac et Abdelaziz Bouteflika ont signé une déclaration affirmant que « les deux pays sont convenus, sans oublier le passé, de jeter les bases d’une relation globale forte, confiante et résolument tournée vers l’avenir. » Mais très vite, il est apparu que pour le président algérien, l’intention n’était pas de créer les conditions d’une refondation des relations franco-algériennes. Il s’agissait plutôt d’obtenir de Chirac la mise en place d’une commission d’historiens à l’échine souple pour écrire une histoire de l’Algérie française, de 1830 à 1962, pilotée par un dignitaire du FLN.

Cachant avec cette feuille de vigne la nudité de son régime, le Raïs cherchait à redonner une légitimité à son régime, massivement rejeté par la population, encore aux élections législatives de mai 2007. Il voulait aussi, en stigmatisant la colonisation, rendre la France responsable de la situation économique, sociale et politique catastrophique, malgré les revenus considérables des hydrocarbures, héritage « positif », jamais avoué du colonialisme. La dénonciation régulière et hystérique de Hizb França (le parti de la France) intervient d’ailleurs à chaque fois que la marmite algérienne menace d’exploser. En exigeant la repentance de la France, Bouteflika escomptait enfin obtenir des avantages matériels, politiques et moraux importants pour garder le contrôle du pays.

En visite à Alger le 13 juillet 2004, le ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier avait affirmé que la France était « mobilisée » pour relancer le partenariat avec l’Algérie afin de conclure en 2005 un traité d’amitié couvrant tous les domaines de la coopération. Le 8 mai 2005, dans une interview à El Watan, il précisait que, le 21 juillet 2004, un conseil interministériel présidé par Jacques Chirac, avait adopté un programme de travail pour le développement d’un « partenariat d’exception » entre les deux pays. Il reprenait par ailleurs, les propos tenus par l’ambassadeur de France en Algérie, le 26 février à Sétif, disant que cette ville fut le lieu d’une « tragédie inexcusable ».

Pour Alger, il était désormais entendu que la repentance de la France était un préalable à la signature du traité de paix. On assiste alors à la montée au front d’un bataillon d’ historiens, ignorant de l’histoire réelle algérienne, mais disposant de larges moyens pour saturer le champ des médias et de l’édition avec leurs écrits sur « la fracture coloniale » et « les crimes de la colonisation ». Prenant appui sur cette nouvelle génération de porteurs de valises, de flagellants et de chaouchs, Bouteflika s’autorise à dire à Sétif, le 8 mai 2005 :

« Qui ne se souvient des fours de la honte installés par l’occupant. Ces fours étaient identiques aux fours crématoires nazis […] De telles pratiques se sont multipliées pendant la seconde moitié du XIXè siècle, visant à imposer son diktat à Paris. Sans oublier les affres endurées par la population durant la guerre de libération, l’ennemi ayant perfectionné ses moyens de torture, d’extermination et de destruction, faisant de l’Algérie un gigantesque camp de la mort et de la torture ceint de fils de fer barbelés et de champs de mines. »

Hélas, Bouteflika tombe malade ! Il apparaît alors que si la rente pétrolière a servi à engraisser la « mafia des généraux » et la caste des prébendiers du régime comme à construire des milliers de mosquées, le secteur de la santé est particulièrement déficient. C’est dans ce contexte que le président s’est fait hospitaliser dans le plus grand secret, le 26 novembre 2005, à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris. Trois semaines plus tard, le professeur Bernard Debré ayant révélé que la maladie du président était grave, l’affaire est devenue politique. On fit alors appel à Benjamin Stora, pour rassurer l’Algérie et son immigration.

« A ma connaissance », déclare cet expert, très familier des arcanes de la Régence d’Alger, Bouteflika n’a pas de dauphin » et il n’y aura pas de vacance de pouvoir, car en cas de disparition du chef de l’Etat, la constitution

« prévoit son remplacement par le président de l’Assemblée nationale pour une période de transition, le temps d’organiser les élections. Et il ne faut pas oublier qu’il y a un premier ministre, qui continue de travailler, un gouvernement qui continue de siéger. En gros, même si les institutions sont en partie paralysées, le pouvoir continue de s’exercer. » Le Parisien du 16/12/2005.

Pas de panique donc : le régime algérien n’est pas dictatorial, comme l’a dit Aït Ahmed ou Mohamed Benchicou mais « présidentiel », son Assemblée nationale est démocratique et son gouvernement travaille.

Benjamin Stora a délivré un bulletin de santé rassurant de Bouteflika, parce qu’il milite activement pour la signature du traité franco-algérien, exigé par Bouteflika. Elle lui permettra de rester un consultant privilégié du parti socialiste (secrétaire d’Etat de Jack Lang si Ségolène Royal gagnait) et d’être incontournable pour diriger avec son ami Mohammed Harbi, l’écriture d’une histoire politiquement correcte franco-algérienne. Cette entreprise commencée de longue date a connu une avancée avec la publication d’un épais livre qu’ils ont dirigé : « La guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin d’une amnésie », Laffont, 2004. Un autre développement est intervenu avec la formation d’un collectif d’historiens opposé à la loi du 23 février 2005, notamment en son article 4, édictant que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord. »

Ce collectif a déclaré vouloir écrire « une histoire critique et citoyenne, au delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire ». Dans ce but, il a décidé de tenir un colloque de trois jours (7,8,9 juin 2006) à Lyon, regroupant 136 intervenants, traitant des questions les plus diverses, en évitant toutefois de parler de l’Etoile Nord-Africaine, du PPA, du MTLD et du MNA créés et dirigés par Messali Hadj, inlassablement discrédité par Stora. Pouvait-il en être autrement puis le colloque, présidé par M.Harbi, voulait constituer « une pierre scientifique pour aboutir à la signature du traité franco-algérien ».

Au final, d’après l’intitulé des contributions, une petit caillou « scientifique » où l’histoire de la révolution algérienne est confondue avec celle du FLN, ce qui relativise le massacre de Melouza, le terrorisme de Yacef Saadi, impulsé par Abane Ramdane, la « nuit rouge » et la « bleuite » d’Amirouche et le massacre en France, d’un millier de syndicalistes algériens de l’USTA par les tueurs du FLN.

Pendant la campagne électorale, Hollande accompagné de Benjamin Stora, a déclaré à Alger que les socialistes ne trouvent « aucun caractère positif à la colonisation ». Peu après, Jack Lang en visite à Alger, avec Stora, conviendra que « La meilleure façon de s’excuser est de reconnaître la réalité des crimes qui ont été commis par la colonisation en Algérie de 1830 à 1962. » Il ajoutera que le parti socialiste s’engagera, si sa candidate était élue, à signer le traité de paix exigé par Bouteflika.

Nicolas Sarkozy adoptera une position opposée : les accords d’Evian, jamais appliqués, n’ont pas mis fin à la guerre d’Algérie, puisque la tragédie des harkis et des pieds-noirs s’étalera du 19 mars au 5 juillet 1962 ; aucun traité de paix sera signé avec l’Algérie car jamais la France n’avait demandé à l’Allemagne de se repentir avant la signature du traité d’amitié franco-allemand en 1963 ; justice sera rendue aux harkis et aux Pieds-Noirs, et l’écriture de l’histoire de France, y compris de sa page algérienne, ne sera pas partisane. Il sera enfin créé un Ministère de « l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement. »

S’étranglant de rage, Benjamin Stora, inspiré sans doute par le discours du général de Gaulle du 18 juin 1940, à lancé dans le Nouvel Observateur du 15-21 février 2007, un Appel martial à la résistance contre l’oppression. « Intellos de gauche, debout ! » lance t-il car

« la machine Berlusconi est en marche. Même la presse de gauche se montre compréhensive. Acceptera t-on de voir « les Guignols » devenir le dernier bastion où l’on peut critiquer Sarkozy ? S’il devait passer, on entrerait dans une tout autre histoire. Chacun retournerait à ses affaires privées, l’effet démoralisateur serait terrible »

Sabre (de bois) au clair, Benjamin Stora s’est engagé dans une croisade anti-Sarkozy, en y intégrant le Colloque de « la fondation algérienne du 8 mai 1945 », spécialisé dans la dénonciation de la France.

Le 4 mai, le premier ministre Abdelaziz Belkadem tire à boulets rouges sur Sarkozy qui

« veut aussi réhabiliter l’OAS, une organisation criminelle, une organisation terroriste du même type qu’Al-Qaïda aujourd’hui. Elle a été le précurseur d’Al-Qaïda, d’une certaine façon […] on ne peut pas parler d’aspect positif de la colonisation. Prétendre le contraire, c’est dire des insanités. Il ne sert à rien d’en rajouter. Les Français sont libres de mener la politique qu’ils souhaitent. Mais que l’on ne compte pas sur nous pour nous taire dès lors qu’il s’agit de porter un jugement sur une tragédie que nous avons vécue.[…] Nous souhaitons toujours la signature du traité d’amitié, mais il faut se démarquer des crimes de la France coloniale. »

Catastrophe ! Le 6 mai, Nicolas Sarkozy est élu président de la république. Le 8 mai, le colloque de Sétif poursuit sa croisade contre la France coloniale et la « contribution historique » (El Watan) de Benjamin Stora est annoncée pour le 9. Mais dans la soirée, prenant un tournant à 180°, Bouteflika renonce à demander des excuses à Paris et renonce au traité. Il n’est plus question « d’extermination » mais d’évènements « traumatisants ». Il ne s’agit plus de dénoncer une « amitié cannibale » mais d’établir « un climat de confiance fondé sur des valeurs universelles de liberté et de respect, sans lesquelles toute approche audacieuse risque de s’enliser dans de vaines résurgences du passé. »

Après le refus clair de Sarkozy sur le traité de paix, la déclaration de Bouteflika met fin à une politique très avantageuse pour tous les régimes algériens depuis les accords d’Evian. Par voie de conséquence, toute l’histoire de la guerre d’Algérie et de l’Algérie française écrite par le lobby des historiens de « gauche » alignés sur le FLN, avec le soutien de la presse bien pensante, doit faire l’objet d’une lecture très critique, comme le fut celle des laudateurs du paradis soviétique. Une parenthèse se ferme et maintenant retour à l’Etoile Nord-Africaine.

Créée au sein du mouvement ouvrier français et porteuse de toutes ses valeurs (les libertés démocratiques, la laïcité de l’école et de l’Etat, le syndicat indépendant, l’émancipation de la femme), elle luttait pour la souveraineté du peuple algérien (les Juifs et les Européens en étaient une composante) à l’issue d’un processus constituant. C’était aussi un combat pour l’unité des trois peuples d’Afrique du Nord (Tamazgha) et un Commonwealth franco-africain dans un combat commun et fraternel avec la classe ouvrière et le peuple français. Cinquante ans après, le printemps s’annonce entre l’Algérie et la France.

22 mai 2007

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> France-Algérie : une page se tourne

 

Dans un texte précédent : « Bejamin Stora et le tango algérien », il a été montré que la politique du parti socialiste sur l’Algérie prolongeait simplement celle de Mitterrand et de Chirac. Après l’élection d’un nouveau président de la République, les relations entre Paris et Alger vont complètement changer. Pendant la campagne électorale, Nicolas Sarkozy s’est déjà prononcé pour une rupture totale avec la politique algérienne antérieure. La France assumera toute son histoire, mais elle refuse l’éternelle repentance pour les « crimes de la colonisation », rendra justice aux Pieds-Noirs et aux harkis et ne signera aucun traité de paix avec l’Algérie. Devenu président de la République, Nicolas Sarkozy met déjà en application cette politique avec la création d’un ministère de l’immigration et de l’identité.

Puisqu’il s’agit d’écrire l’histoire de la France, en relation avec les missions de la Cité de l’immigration qui fonctionnera en septembre, il convient d’abord d’examiner l’état de la recherche sur l’immigration algérienne pour trois raisons : son origine (l’Algérie française), son ancienneté (décembre 1830), sa composition (majoritairement kabyle et ouvrière). Ajoutons que c’est le cas unique où une immigration fut le creuset du mouvement national algérien (l’Etoile Nord-Africaine), qu’il fut créée au sein du PCF sur décision de la troisième internationale, en 1926, que tous ses membres militaient à la CGTU/CGT jusqu’en 1956 et que les partis qui ont succédé à l’Etoile : le PPA, le MTLD et le MNA ont toujours lutté pour la formation d’une nation algérienne souveraine par des élections libres de tous les habitants de l’Algérie à une Assemblée constituante, en amitié avec le peuple français pour transformer l’Union française en un Commonwealth franco-africain.

C’est en fonction de cette histoire longue de l’immigration algérienne (1926-1962) qui est une composante très importante de l’identité française, qu’il faut nettoyer le terrain avec une critique radicale des historiens/partisans et de la confrérie des Repentants dont le chef de file Benjamin Stora est depuis trente ans le grand bachagha, au service de la politique algérienne de Mitterrand et de Chirac l’arabe, dont son ami Abdelaziz Bouteflika est un ami si chaleureux de la France.

 

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Le refus d’un traité de paix avec l’Algérie remet en question toute la politique antérieure de la France sur ce sujet. Elaborée par le général de Gaulle depuis les accords d’Evian en mars 1962, la politique algérienne de la France, restée inchangée François Mitterrand et Jacques Chirac était fondée sur un pacte qui fut toujours respecté.

 

Alger promettait de garantir l’approvisionnement en hydrocarbures de la France, favorisait la politique commerciale et militaire et diplomatique de la France dans les pays arabes et renforçait son poids diplomatique à l’ONU et dans les instances internationales ; elle permettait enfin à la France de conserver ses positions dans son carré africain, héritage de la colonisation.

En contrepartie, Paris s’engageait sur trois points : la défense inconditionnelle de l’Etat algérien, militaro policier depuis Boumediene, l’interdiction d’une opposition structurée avec des partis, syndicats, associations, presse et de toutes les manifestations contre la répression en Algérie, le maintien d’un discrédit contre les Pieds Noirs, les messalistes et les harkis. Paris acceptait aussi qu’Alger exerce un contrôle policier sur les flux migratoires entre les deux pays et l’immigration par le biais de l’ambassade, des consulats, de l’Amicale des Algériens en Europe, du Centre culturel algérien et de la Mosquée de Paris.

Depuis 1962, l’immigration algérienne en France a connu une histoire économique, associative et culturelle intense, mais elle fut toujours contrariée par l’action des autorités, des appareils syndicaux CGT, CFDT et FO, par le PCF et le parti socialiste, ainsi que par le lobby qui pendant la guerre d’Algérie avait apporté un soutien inconditionnel au FLN.

 

L’explosion sociale d’octobre 1988 en Algérie, suivie de la victoire du FIS au premier tour des législatives en 1991 a ébranlé le régime jusque dans ses fondements. En janvier 1992, le président Chadli démissionne, l’Assemblée nationale est dissoute et le processus électoral est interrompu. Ce choc a donné naissance à une floraison d’ouvrages sur les origines sociales, culturelles et religieuses du nationalisme, les causes de la progression du FIS et la tragédie de la « deuxième guerre d’Algérie ».

C’est à cette date qu’on assiste à une revitalisation des thèmes unificateurs de la gauche pendant la guerre d’Algérie (la torture, les crimes de l’armée française, le massacre du 17 octobre 1961, les colons exploiteurs, les crimes de l’OAS) avec la montée au front de Benjamin Stora et Mohammed Harbi, pour assurer la défense du pacte franco-algérien, c’est-à-dire du régime en place.

Le bal est ouvert en 1991 par un livre de Jean-Luc Einaudi : « La bataille de Paris » et surtout par Benjamin Stora, ex-dirigeant trotskyste du PCI, expert de l’Algérie par décision de Mitterrand, propulsé depuis, dans les medias, les colloques et l’édition. Cette année, Stora soutient une thèse d’Etat en histoire « Histoire politique de l’immigration algérienne en France 1922-1962 » qui reprend les thèses du FLN, un film « les Années algériennes », de même orientation et « La Gangrène et l’Oubli : la mémoire de la guerre d’Algérie. », qui fournit la première lecture tendancieuse de l’histoire de la guerre d’Algérie.

Dans ce livre, Stora déplace l’étude de l’histoire réelle, celle de la lutte des classes, des processus sociaux politiques et des rapports internationaux vers le champ nébuleux de la Mémoire. Le changement est radical avec ses études antérieures : « L’Algérie et la révolution permanente (1ère partie : les origines de la révolution algérienne de 1954 » (La Vérité, n°593, octobre 1980, pp.63-97), sa biographie de « Messali Hadj, 1898-1974 », Le Sycomore, 1982, pleine d’erreurs mais qui reste un livre d’histoire, son Mémoire sur « le MNA de 1954 à 1956 » et surtout son « Dictionnaire biographique de militants nationalistes algériens » (L’Harmattan, 1985). Après sa rencontre avec Mitterrand, Stora qui a capté sa baraka est devenu un khouan très fidèle.

 

La défense de la politique franco-algérienne s’effectue à tous les niveaux, dont le discrédit de Messali Had comme inventeur, initiateur du nationalisme algérien au profit d’autres dirigeants (comme Ferhat Abbas ou Abane Ramdane), la présentation de la fédération française du FLN comme une contre société exemplaire, la dénonciation des crimes de l’armée française notamment la torture ainsi que l’opprobre contre les harkis et les pieds-noirs.

 

Mohammed Harbi, dirigeant du FLN agissant en toute liberté en France jusqu’à la fin 1957, sous couverture du de l’amicale étudiante inféodée au FLN (UGEMA) joua un rôle très important pour faire adopter les thèses du FLN par les medias (l’Express, France Observateur, Témoignage Chrétien, Le Monde) et pour la mise en place, par un accord avec le PCF de l’Amicale des Algériens (AGTA), rattachée au Front. Cette amicale installée, les tueurs du FLN procédèrent alors au massacre de la direction de l’USTA, aux enlèvements, aux attentats contre des centaines de messalistes et syndicalistes (4 000 morts et 10 000 blessés) aboutissant à la caporalisation de l’émigration algérienne. Les ouvrages de M.Harbi, documentés et précis, mais qui ramènent la guerre du FLN contre le MNA à une guerre fratricide, restent indispensables pour l’écriture de l’histoire du FLN, à condition d’en faire une lecture critique, mais pas pour celle de la révolution algérienne.

 

Depuis 1991 à 2006, la défense du pacte franco-algérien s’est menée en trois moments :

1. De 1991 à 1999, plusieurs batailles ont été menée pour défendre le régime algérien, engagé dans une guerre contre le FIS et plus largement contre le peuple algérien (cf. les nombreux articles de Harbi-Stora-Gilbert Meynier- Liauzu-Manceron dans les journaux et revues sur « la deuxième guerre d’Algérie » avec deux livres de Stora : « L’Algérie en 1995, Michalon, 1995 qui instrumentalise l’histoire du nationalisme pour proposer un compromis entre le pouvoir militaire et le FIS) et « Le transfert d’une mémoire. De « l’Algérie française » au racisme anti arabe », La découverte, 1999, livre de commande de Mitterrand pour diaboliser le Front national afin d’empêcher toute alliance entre les composantes de la droite et permettre à Tonton de rester au pouvoir. A ce sujet, voir le livre de Yvan Blot : « Mitterrand, Le Pen, le piège. Histoire d’une rencontre secrète, Ed.du Rocher, 2007). De son côté, Einaudi publie un second livre : « Octobre 1961, un massacre à Paris », Fayard, 2001.

2. De 1999 à 2003, dans le cadre de la préparation de l’année de l’Algérie, on assiste à une floraison de travaux et livres, dans le but de rédiger une histoire politiquement correcte de l’histoire mixte franco-algérienne et parmi eux, l’important livre de Gilbert Meynier : « Histoire intérieure du FLN : 1954-1962», Fayard, 2002.

3. L’année de l’Algérie n’ayant pas abouti, le président Bouteflika monte en première ligne pour exiger la repentance de la France pour les crimes de la colonisation, préalable à un traité de paix avec la France. Le président n’a pas hésité à comparer la France à l’Allemagne nazie en disant : « Qui ne se souvient des fours de la honte installé par l’occupant dans la région de Guelma […] Ces fours étaient identiques aux fours crématoires des nazis » Cette exigence a été entendue par Marc Ferro qui a dirigé un épais bouquin : « Le livre noir du colonialisme. XVè-XXIè siècle, de l’extermination à la repentance », Lafont, 2003.

Le signal est donné pour la formation de la confrérie des Repentants, qui se déchaîne, en particulier, après la loi controversée du 23 février 2005 qui parle du « rôle positif de la colonisation ». Quelques livres : O.Le Cour Grandmaison. « Coloniser, Exterminer. Sur la guerre et l’Etat colonial, Fayard, 2005 ; Liauzu : « Colonisation : droit d’inventaire, A.Colin, 2004 ; Pascal Blanchard et Nicolas Bancel. « Culture postcoloniale.1961-2006. Traces et mémoires coloniales en France, Autrement, 2006.

Dans le même temps, Benjamin Stora et Mohammed Harbi ont dirigé un épais livre : « La guerre d’Algérie, 1954-2004. La fin de l’amnésie », Laffont, 2004 où se trouve sélectionnée une équipe de spécialistes pour écrire une histoire convenue.

 

Pendant la campagne pour les présidentielles, Benjamin Stora est sorti de l’ombre pour défendre le traité de paix avec l’Algérie. Le refus de Nicolas Sarkozy de signer un traité de paix avec Alger et d’écrire une histoire sans tabou mais sans repentance, met fin au monopole détenu par les idéologues/historiens, chargés d’écrire une histoire politiquement correcte. Bouteflika a lui même compris qu’il fallait cesser d’instrumentaliser l’histoire en parlant des crimes de la colonisation. A l’occasion de la commémoration du soixante-deuxième anniversaire des massacres du 8 mai 1945, il a appelé la Nation à ne pas voir le présent et l’avenir seulement avec les yeux d’un passé ajoutant « qu’en deux générations d’indépendance, notre pays a pansé la plupart de ses blessures et pour l’essentiel, il est sorti de la nuit coloniale ».

Saluons ce moment où une nouvelle page s’ouvre. Les étudiants vont trouver en solde chez Gibert, à très bas prix, les livres de la confrérie de « Repentants ».

Jacques Simon 9 mai 2007

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Ce texte rédigé fin avril, a circulé dans un cercle restreint. A la demande d’amis, il est placé sur notre site et il sera suivi d’autres articles sur le prochain tournant dans les relations franco-algériennes, après l’élection d’un nouveau président de la République. La rupture annoncée par Nicolas Sarkozy, avec la politique algérienne antérieure concerne en effet tous les domaines : l’abandon d’un traité de paix avec l’Algérie, la repentance pour les « crimes de la colonisation », la réhabilitation des Pieds-Noirs et des harkis et l’écriture sans tabou de l’histoire passée. Pour avancer dans cette direction, il convient de dresser un état des lieux sur ces questions en commençant par une critique radicale des historiens/propagandistes et de la confrérie des « Repentants ».

Benjamin Stora et le tango algérien

Benjamin Stora est heureux. Il a été placé à la tête d’une structure qui deviendra un ministère Maghreb, si Ségolène Royal devient présidente. Il deviendra, en cas contraire, un pôle de lutte contre le ministère sur l’immigration et l’identité, si Nicolas Sarkozy devenait président. Stora s’efforcera alors, de faire de l’entrisme sui generis, technique qu’il connaît bien, pour que la Cité de l’immigration considère l’histoire qu’il a écrite, comme la seule scientifique. Mais cette bataille est-elle encore gagnable ?

Chirac l’arabe s’en va, son ami Bouteflika a un pied dans l’au-delà et le bilan du FLN depuis l’indépendance n’est pas glorieux. A l’opposé, les victimes de la guerre menée par le FLN, soutenu par Nasser et la Ligue arabe, le bloc communiste, le cartel pétrolier américain, etc. contre les démocrates et peuple algérien, relèvent la tête. Les Pieds-Noirs, les harkis, les messalistes et les millions d’Algériens en Algérie et en France, comme les enseignants, les étudiants et les citoyens veulent comprendre les causes profondes de cette tragédie. Ils savent que cela passe par une mise en examen des écrits et discours de tous les idéologues qui ont instrumentalisé l’histoire pour défendre le régime algérien.

Il fallait préciser cela pour comprendre la réaction violente de Benjamin Stora au courrier adressé par Nicolas Sarkozy au « Comité de liaison des rapatriés ». Le candidat s’engageait à leur rendre justice et à faire que la date officielle de la commémoration des morts de la guerre d’Algérie ne soit pas le 19 mars, « celle dit-il, d’un cessez-le-feu, qui, de surcroît, n’a pas été respecté. » Stora a dénoncé également l’engagement pris par Nicolas Sarkozy devant des représentants des associations harkis à « reconnaître officiellement la responsabilité de la France dans l’abandon et le massacre de harkis.»

Il a trépigné de rage en apprenant que Sarkozy refusait de reconnaître les « crimes de la colonisation », et qu’il voulait « aujourd’hui construire ensemble l’avenir, sans repentance, sans réécrire notre histoire avec l’Algérie. » Indigné, Benjamin Stora a écrit dans le Monde du 21 avril, que la seule histoire politiquement correcte qu’il faut enseigner, c’est celle qu’il écrit depuis 1984 avec Mohammed Harbi, le meilleur idéologue du FLN et du régime Ben Bella, devenu la référence sur l’histoire algérienne en France.

Le comble a été atteint quand Sarkozy a déclaré qu’il ne signerait pas un traité de paix avec l’Algérie, ce qui constitue pour Stora « une déclaration de guerre à l’Algérie. »

L’association des harkis et celle des rapatriés, scandalisées par les écrits infamants de Stora, ayant appelé à voter massivement pour Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal a demandé à son ministrable de revoir sa copie. Dans le Monde du 23 avril, on lit :

« Benjamin Stora engagé aux côtés de Ségolène Royal, a atténué ses premières déclarations suscitées par ce courrier. Cet historien, spécialiste du Maghreb, indique qu’il est « essentiel de trouver un compromis mémoriel ». Il ajoute : « Et si nous voulons parvenir à ce compromis, il faut prendre en compte la souffrance de l’autre »

Le « compromis mémoriel » proposé par Stora, l’ex-permanent du Parti communiste internationaliste (Lambert), membre de son comité central et responsable de la fraction PCI au sein de l’UNEF, est un chef d’½uvre de magouille. Stora suggère de rester le patron de l’histoire de l’Algérie et Ségolène consentira, si elle parvenait au pouvoir, à offrir aux harkis et au peuple pied-noir, « cette mosaïque constituée de déclassés en tout genre » (Télérama 21 mars) des cérémonies avec chrysanthèmes, « car il faut prendre en compte la souffrance de l’autre, dit-il. ». Mais pas question de changer de programme. On apprend en effet dans le compte-rendu qu’en fait le Quotidien d’Oran du 22/04 que :

« Elue à l’Elysée, Ségolène Royal se donnera cinq ans « le temps d’un quinquennat présidentiel et législatif – pour créer les conditions d’une « mémoire apaisée ». Pour la candidate, un tel défi résonne d’autant plus comme une urgence que le prochain mandat prendra fin en 2012. Echéance symbolique s’il en est, cette date coïncide, en effet, avec le 50ème anniversaire de la signature des accords d’Evian et la fin de la guerre d’Algérie. « Le calendrier nous dicte nos responsabilités » observe-t-elle, en répétant à qui veut l’entendre qu’elle aspire à une « mémoire apaisée » et une France « réconciliée avec son histoire ».

[..Ségolène Royal ne fera pas sienne l’idée de repentance. Mais elle fera en sorte que la colonisation et sa page la plus sanglante, la guerre d’Algérie, ne seront pas sacrifiées sur l’autel d’une quelconque amnésie.[.. .] Dans son message aux harkis et aux pieds-noirs, la candidate socialiste se garde de cultiver le discours nostalgique qui plaît aux « sudistes », selon l’appellation de Benjamin Stora. Ces pans au poids électoral pesant qui, quarante-cinq ans après la fin des combats, n’ont pas encore fait le deuil de « l’Algérie française ».

Célébrer les Accords d’Evian, un traité qui n’a jamais été appliqué, c’est considérer que les évènements qui se sont déroulés du 19 mars au 5 juillet 1962, ne concernent plus la France. C’est pourtant pendant cette période où l’Algérie était encore française et que son armée contrôlait le pays que s’est produit le massacre et les enlèvements de milliers de Pieds-Noirs, contraints à l’exode pour sauver leur peau, de plus de cent mille harkis et de milliers de messalistes, dont Stora milite pour les chasser de l’histoire, tandis qu’il absout de tous leurs crimes le FLN, qu’il s’agisse des milliers de messalistes par Yacef Saadi et Amirouche, du massacre de Melouza (voir mon livre : « Le massacre de Melouza, L’Harmattan, 2005) et du millier de syndicalistes de l’USTA) par les gangsters du FLN et cela, en France même, avec la complicité du PCF, la compréhension de la gauche bien pensante et le soutien actif des porteurs de valises.

Comment Ségolène Royal peut-elle prétendre écrire « une histoire apaisée », quand Stora accuse les Pieds-Noirs de revanchards de l’OAS qui ont investi le Front National et de sudistes, nostalgiques de « l’Algérie française » (voir son livre : « Le transfert d’une mémoire. De « l’Algérie française » au racisme anti-arabe », La Découverte, 1999, marqué par la mauvaise foi, de l’ignorance et de la réaction ?

Comment, par ailleurs, placer à la tête d’une commission chargée d’écrire une « histoire apaisée » un historien, très engagé et qui ne possède ni la qualification ni l’objectivité nécessaire ?

En 1986, François Mitterrand qui voulait récupérer l’UNEF a reçu à l’Elysée Jean Christophe Cambadélis et Benjamin Stora. A l’issue de l’entretien, Mitterrand a poussé Cambadélis à monter une machine de guerre contre le Front national « fasciste » et il a désigné Stora comme l’historien officiel de l’Algérie, à qui il a offert la direction de l’Institut Maghreb-Europe, créé spécialement pour lui.

Aussitôt, Benjamin Stora s’est autoproclamé le successeur de Charles André Julien. Mais comment avoir cette prétention quand on a préféré passer un doctorat avec l’aide de professeurs amis du PCI, que de passer une agrégation d’histoire.

A la lecture de ses différents ouvrages, il apparaît qu’il ne maîtrise que superficiellement les problèmes de l’Algérie (l’histoire longue, la démographie, les civilisations, les confréries, l’islam populaire, les institutions et les écoles juridiques de l’islam, sa poésie et sa littérature) qui exigent une connaissance des diverses langues pratiquées au Maghreb : l’arabe, le berbère, l’anglais, etc.

Comment parler sérieusement de la colonisation, sans avoir étudier le millier d’ouvrages scientifiques sur la géographie, l’économie institutions, le mode de production, le système bancaire, les migrations, le passé lointain, l’histoire des tribus, etc, utilisés par des savants comme Augustin Bernard, E-F Gautier, Georges et Philippe Marçais, Pierre Boyer, Henri Peres Jacques Berque, Charles André Julien, André Nouschi, Charles-Robert Ageron, Mahfoud Kaddache, etc ?

Il en est de même pour la guerre d’Algérie, qui demande une bonne connaissance des question militaires, des grandes opérations, l’histoire du barrage, celle des wilayas et de l’ALN, de la guerre révolutionnaire, des fractures intervenues au sein de l’armée et du contingent, du renseignements et, plus encore des aspects internationaux de la guerre d’Algérie ? Pour avoir vécu cette guerre de novembre 1954 à 1962, en Algérie et en France, comme journaliste, syndicaliste, interprète d’arabe à Alger en mai 1958, chargé de la préparation des listes pour les élections au collège unique, avoir séjourné un an au Sahara et participé à plusieurs opérations en Oranie et sur le barrage, avoir discuté avec des centaines d’officiers et des soldats de toutes les armes, rempli des carnets de notes, recueilli des centaines de témoignages et documents pendant cinquante ans, je propose d’avoir un débat public avec Benjamin Stora sur ce sujet.

Devenu le spécialiste d’un pays et d’un champ de l’histoire qu’il prétend dominer, par l’usage abusif fait des médias, très apprécié des chefs de l’Etat algérien, Benjamin Stora a élaboré avec Mohamed Harbi, une histoire officielle acceptable pour Jacques Chirac et le président algérien. Nos deux experts ont développé dans les médias et à l’université une histoire tendancieuse de la guerre d’Algérie. Ils se sont ensuite engagés pour assurer le succès de l’année de l’Algérie en 2003 et ils se désolent de la non signature du traité franco algérien, pour renouer avec la France.

Accompagnant François Hollande en Algérie, Stora a repris le couplet martelé par les nouveaux porteurs de valises, sur les crimes de la colonisation. Il a aussi accompagné Jacques Lang, qui a déclaré à Alger que : « La meilleure façon de s’excuser est de reconnaître la réalité des crimes qui ont été commis pendant la colonisation en Algérie de 1830 à 1962. »

Dans L’Express du 4 janvier 2007, Benjamin Stora s’est retrouvé dans le camp du « démocrate » Yacef Saadi, ce chef FLN, venu du lumpenprolétariat, qui a organisé des réseaux de tueurs recrutés dans la pègre, pour assassiner des centaines de militants du MNA à Alger et poser des bombes dans les cinémas, les restaurants, les bus et les casinos, ce que font les djihadistes à Jérusalem à Londres ou à Madrid. Peut-on faire des assassins des héros et exiger la repentance des rescapés des massacres du terrorisme ?

Que penser de Stora qui a osé établir, dans Jeune Afrique du 4 au 10 juillet 1990, « un parallèle entre le triomphe du Front islamique du salut en 1990 et celui du PPA-MTLD lors des élections d’octobre 1947 » ? Que penser du conseil donné au chef de l’Etat algérien de partager le pouvoir avec le FIS, héritier du PPA (Le Nouvel Observateur .du 16-22/11/1995) et que dire de la centaine d’articles écrits pendant la décade sanglante des années 1990, où Stora s’interrogeait pour savoir « Qui tue qui ? » Ces quelques exemples suffisent à montrer comment Benjamin Stora écrit et enseigne l’histoire à l’Université.

Il est enfin amusant d’entendre notre spécialiste parler de son « engagement dans tous les combats de la gauche anti-autoritaire », alors qu’il n’a pas soutenu le printemps berbère, la lutte des femmes algériennes contre le code de la famille, celle des travailleurs pour se doter d’un syndicat indépendant de l’UGTA, qu’il n’a jamais caractérisé le régime algérien de militaro policier, avec l’islam comme religion d’Etat et jamais dénoncé la répression permanente du pouvoir algérien contre les femmes, les journalistes, les intellectuels et la jeunesse. Ajoutons qu’il a approuvé la politique de Bouteflika sur la réconciliation avec les islamistes, dont on voit les résultats, avec la réorganisation des salafistes dans Al Qaïda Maghreb.

Stora déclare qu’il va « entamer une discussion avec le PS », alors qu’il a été chargé par François Mitterrand depuis 1984, d’écrire l’histoire selon les directives du pouvoir politique et qu’il est officiellement le conseiller de Ségolène Royal sur le Maghreb.

Dans tous les cas une page est tournée avec la fin de la politique arabe de la France.

Jacques Simon 2mai 2007

 

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> LECTURE<

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« Algérie : Engagements sociaux et question nationale. De la colonisation à l’indépendance, de 1830 à 1962. »

Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier.

MAGHREB

Sous la direction de René Gallissot. Le Maitron, 2006. Maghreb. Editions de l’Atelier, 604 pages

Professeur émérite de l’Université Paris 8, René Gallissot a dirigé la rédaction d’un volumineux dictionnaire sur l’Algérie où le mouvement syndical est étroitement subordonné au mouvement national. Dans sa chronologie très orientée comme dans son introduction, Gallissot n’ignore pas l’Étoile Nord-Africaine, le PPA et le MTLD, mais il ne considère pas ses organisations comme la matrice du véritable mouvement nationaliste. Son acte de naissance serait la rupture programmatique, politique et organique effectuée par le CRUA, fondateur du vrai mouvement nationaliste et révolutionnaire : le FLN. Dans cette optique, Gallissot replace, par delà la parenthèse de 1926 à 1954, le mouvement national dans l’histoire longue de la lutte menée par le peuple algérien depuis 1830. La figure de l’émir Khaled fait le lien avec celle de l’émir Abd el-Kader puis avec Abane Ramdane, celle des chefs de confréries religieuses derqaoua ou Rahmaniya, avec Ben Ben Badis et les Oulémas, composante religieuse importante du FLN. Rien de neuf. Il s’agit là du programme de l’histoire officielle enseignée en Algérie. Mais comment lier cette histoire à celle du mouvement ouvrier ? La réponse de Gallissot est simple, elle est le fait du PCA qui raccorde le mouvement communiste au FLN dans lequel il s’est dissous. C’est en chaussant ces lunettes qu’on peut lire les bios retenues dans ce qui s’appelle un dictionnaire du mouvement ouvrier algérien. Précisons :

Pendant les premiers Congrès de la IIIè internationale, la fonction des syndicats étant la défense des intérêts particuliers des travailleurs d’un métier, il s’ensuivait que seul le parti communiste, section de l’Internationale, pouvait défendre les intérêts généraux et historiques du prolétariat. Malgré ce rôle directeur du parti dans le mouvement social, les syndicats disposaient comme les soviets d’une large autonomie, car ils regroupaient des masses dont seule une minorité possédait une conscience de classe. Il s’ensuivait que les syndicats devaient fonctionner selon le principe de la démocratie ouvrière (droit de tendance), la ligne générale étant décidée par les congrès des syndicats et celui de la Confédération.

Lorsque Staline prend, au Vè Congrès de l’IC, le contrôle de son exécutif (le Komintern), on ne parle plus de révolution permanente mais de révolution par étapes dans la tradition menchevique. L’application de cette orientation s’effectue avec la militarisation des syndicats et l’intégration du parti ouvrier dans un bloc de quatre classes (Guomintang) dirigé par la bourgeoisie. C’est ce modèle qui sera appliqué par Amar Ouzegane, ex-secrétaire du PCA et principal théoricien du FLN1.

En France, l’application de cette politique a conduit le PCF à installer des cadres communistes à la direction de la CGTU, subordonnée désormais au parti. D’autres syndicats sont alors apparus, installant la division dans la classe. A la libération, une majorité de cadres communistes se sont imposés à la direction de la CGT réunifiée, mais après la scission syndicale mondiale, la CGT-FO est apparue et surtout la Fédération de l’Education Nationale (FEN), qui admettait en son sein la démocratie ouvrière (interdite à la CGT), pratiquait le Front unique ouvrier et militait pour la réunification du mouvement syndical, indépendant et démocratique.

En 1950, l’appareil de la CGT est dirigé par des communistes et l’orientation déterminée par le bureau politique du PCF, mais les militants peuvent encore faire passer leurs revendications dans les congrès régionaux et de branche. A cette date, la direction de la FEN est majoritairement socialiste, mais la tendance ex-cégétiste et l’Ecole émancipée sont représentés dans les instances dirigeantes et ils s’expriment librement dans les Congrès et la presse syndicale.

Pour René Gallissot, si le syndicalisme algérien a été créé et dirigé par le PCF puis par le PCA, il a été refondu par le FLN pendant la guerre d’indépendance, l’ex-CGTA s’étant dissoute dans l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) comme le PCA dans le FLN.

Il s’agit là d’une conception originale des rapports entre parti et syndicat, car dans tous les pays sous domination coloniale, les partis communistes ont gardé un appareil indépendant des partis nationalistes, directement rattaché au Komintern (Tunisie, Maroc, Egypte, Liban, Irak ). En Algérie, la direction du FLN (Abane Ramdane, Ouzegane, Lebjaoui) a fondé l’UGTA pour s’opposer à l’Union syndicale des travailleurs algériens (USTA). Influencée par La Révolution Prolétarienne et créée par des cadres messalistes sur le modèle de la FEN, elle proclamait dans ses statuts l’indépendance envers tout parti politique, la démocratie ouvrière (droit de tendance) et l’internationalisme prolétarien .

Dans le livre, si une place est accordée à l’Etoile Nord-Africaine, c’est parce qu’elle a été créée au sein du PCF, et que ses militants étaient membres de la CGTU. On parle encore du PPA parce que ses militants étaient membres de la CGT, mais le rôle de ces syndicalistes dans les luttes ouvrières et le combat contre le fascisme est ignoré. Il est vrai que le PPA était lié à la gauche socialiste et aux « hitléro-trotskystes ». Il convenait par ailleurs, de gommer dans les bios des dirigeants de l’Etoile : Imache, Radjef, Yahiaoui et Messali leur indignation manifestée dans un numéro spécial de El Ouma, contre le PCF qui était activement intervenu pour obtenir du gouvernement Blum, l’interdiction de l’Étoile et la répression ensuite contre le PPA.

Le silence est encore plus épais sur le rôle de la CGTA, réorganisée à Alger en 1943 et associée à la politique néo-coloniale du GPRF du général de Gaulle. Le PCA mènera une campagne acharnée contre Messali en résidence surveillée à Chellala et contre le mouvement des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML), cautionnant la répression de Sétif et de Guelma le 8 mai 19452.

Après 1946, le livre ignore dans les rares bios faites, le rôle très important des travailleurs algériens, massivement affiliés à la CGT, dans tous les combats de la classe ouvrière française. On ne retiendra que la bio du permanent communiste Belouachrani Omar, adversaire farouche de la politique ouvrière du MTLD au sein de la CGT puis de l’USTA jusqu’à la création de l’Amicale des Algériens (AGTA), créée par le FLN après accord du BP du PCF.

L’existence de l’USTA est mentionnée, mais il s’agirait d’une succursale du MNA3 .Quelques dirigeants (Ahmed Semmache, Hocine Maroc, Ahmed Bekhat et Abdallah Filali) font l’objet d’une bio incolore, leur assassinat par le FLN est masqué4, car on ne pouvait dire que toute la direction de l’USTA a été liquidée par les tueurs du FLN, peu après l’installation de l’AGTA, avec le soutien du PCF5. Elle deviendra ensuite la police politique du FLN au sein de l’émigration algérienne, mettant fin à toute l’histoire du syndicalisme algérien en France, fondé après 1920.

Le dictionnaire comprend les bios arrangées d’une dizaine de dirigeants connus du FLN (Abane Ramdane6, Yazid, Ouzegane, Ben Khedda, Aït Ahmed, Boudiaf7, Ben Mh’idi, Mohamed Harbi8) et d’autres qui n’ont pas trouvé place. Il était difficile de parler d’Amirouche, célèbre pour le massacre de plusieurs centaines de civils kabyles (la nuit rouge de la Soummam) et de djounouds (la bleuite)

Pas de bio heureusement de Yacef Saadi et les membres de son réseau d’une trentaine de tueurs recrutés dans la pègre (Ali la Pointe) et de poseuses de bombes dans les cafés et les cinémas (Zohra Drif, Djamila Boupacha, Djamila Bouhired). Par contre, on trouvera les bios élogieuses des militants communistes (Daniel Timsit, Fernand Yveton, Abdelkader Guerroudj ou Yahia Briki) qui furent intégrés dans le réseau bombe et les commandos de choc du FLN, responsables du mitraillage de cafés et de cinémas et placés sous la direction de Yacef Saadi, responsable de la Zone autonome d’Alger, après la mort de Ben M’hidi. Des communistes devenus des terroristes et placés sous la direction d’un chef venu du lumpenprolétariat : géant !

Le livre comprend les bio d’une poignée de dirigeants du MNA (Filali, Mohamed Maroc, Moulay Merbah, Mezerna), dont la réécriture s’impose. Celle de Messali est inacceptable car écrite dans la bonne tradition du PCF qui a voué une haine de classe au fondateur et principal dirigeant de l’Etoile, du PPA, du MTLD et du MNA9.

Gallissot consacre de nombreuses bios aux chefs du PCF qui dirigèrent le PCA (Laurent Casanova, André Marty, Larribère, André Moine, Léon Feix, Pierre Fayet, Roger Garaudy) et à des leaders du PCA et de la CGTA (Maillot, Guerroudj, Bachir Hadj Ali, Maurice Laban) qui présentent un intérêt certain pour comprendre l’histoire du communisme en Algérie, en gardant comme boussole le beau livre d’Emmanuel Sivan : « Communisme et nationalisme en Algérie, 1920-1962 », PFNSP, 1976.

Il consacre plusieurs bios aux porteurs de valises (membres du réseau Jeanson) dont le rôle fut d’aider le FLN à s’imposer à l’émigration, à l’idéologue Francis Fanon, magnifié par Jean Paul Sartre pour son apologie de la violence et deux bios qui éclairent bien l’aide multiforme apporté au FLN et qui suffisent à ruiner le mythe d’un peuple tout entier derrière le FLN pour arracher sa liberté.

La première, consacrée à Henri Curiel est la plus longue du livre. Mais on n’apprendra pas que ce banquier qui récoltait l’argent du racket des travailleurs algériens apporté par les porteurs de valises transférait cet argent au banquier nazi Genoud, dirigeant de la Banque commerciale arabe installée en Suisse. Comme l’écrit Karl Laske qui cite Faligot et Kauffer :

« L’ironie de l’histoire a voulu que travaillent sinon « ensemble », du moins « dans la même filière », ce juif communiste égyptien (Henri Curiel) expulsé de son pays en 1951 et ce nazi suisse (François Genoud) ami de gouvernements égyptiens ».

La seconde est consacrée à Michel Raptis (Pablo) qui travaillera avec Mohamed Harbi sur l’autogestion en Algérie pendant l’ère Ben Bella, avec les résultats désastreux que l’on connaît10. Là encore, on n’apprend pas que Pablo, traduit devant le tribunal d’Amsterdam en 1961 pour impression de faux papiers et de fausse monnaie pour le compte du FLN a reçu également des fonds de la Banque arabe de Genoud, devenu un ami très proche, pour construire une usine d’armement au Maroc11.

Au total un dictionnaire qui contient une masse d’informations, à condition de procéder pour chacune des bios à un examen très critique.

On regrettera que Gallissot considère que les Algériens ne pouvaient construire un mouvement ouvrier qu’en se plaçant sous la tutelle du PCF-PCA et sous la coupe d’un FLN qui quarante ans après l’indépendance refuse la formation d’un syndicalisme autonome, libéré de l’UGTA caporalisée par le FLN. On regrette surtout que Gallissot n’ait pas utilisé son savoir et celle de son équipe pour rédiger un dictionnaire sur le mouvement syndical en Algérie pour compléter le livre de Boualem Bourouiba : « Les syndicalistes algériens. De l’éveil à la libération », L’Harmattan, 1998 (surtout la partie allant jusqu’en 1956) et celui de Houari Touati : « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier de l’Oranie », Cahiers du CDSH, Oran, 1981, 213p qui n’intègre aucun membre des partis nationalistes ou du PCA, comme cela devrait être la règle pour tout dictionnaire du mouvement ouvrier.

Il reste à écrire une histoire honnête du mouvement syndical algérien en France, depuis l’Etoile Nord-Africaine jusqu’à l’USTA, qui dans son dernier numéro de mai 1962 se réclamait encore, à l’opposé de l’AGTA, de l’internationalisme prolétarien.

Jacques Simon, 8 avril 2007.

 

Notes

 

1. Amar Ouzegane, ancien secrétaire général du PCA a dirigé « une délégation qui a été reçue le 10 mai par le chef de cabinet du gouverneur général. Elle s’est entretenue des provocations des agents hitlériens du parti populaire algérien et d’autres agents camouflés dans des organisations qui se prétendent démocratiques. Cette coalition criminelle, après avoir tenté vainement de faire éclater des émeutes de la faim, a réussi à faire couler le sang ». Réclamant « le châtiment rapide et impitoyable des provocateurs […] la délégation a estimé que ces mesures, appliquées sans délai, contribueraient réellement à ramener le calme. » (Liberté et Alger Républicain du 12 mai 1945). Rétrogradé par André Marty au IVè congrès du PCA en avril 1947, Ouzegane reprendra du service en devenant le principal théoricien du FLN. Il en fera un Guomintang algérien (Le meilleur combat, Julliard, 1962, (II,VI-Parti « ouvrier » ou Ligue patriotique). Principal rédacteur de la plate-forme de la Soummam et des statuts de l’UGTA, partisan du terrorisme et de la liquidation de tous les messalistes, il joue un rôle majeur dans la liquidation du mouvement nationaliste et syndical en Algérie. Informations introuvables dans sa bio rédigée par Gallissot.

2. Jacob Moneta. « Le PCF et la question coloniale, 1920-1965 », Maspero, 1971, (Ch.4, pp.144-169) ; Jacques Simon. « Le PPA, 1937-1947 », L’Harmattan, 2005 (3è Part. la révolution manquée de Mai 1945).

3. Pendant le 1er Congrès de l’USTA de juin 1957, dont j’ai assuré le secrétariat, il y avait 325 délégués représentant près de 25 000 syndicalistes ayant payé 8 à 10 timbres de cotisation (je faisais partie de la commission de vérification des mandats). Le nombre de militants du MNA n’atteignait pas les dix mille à cette date. Voir mon livre : « Le premier Congrès de l’USTA, juin 1957 » L’Harmattan, 2002.

4. « A.Bekhat a été assassiné de deux balles dans la nuque. Le MNA attribue le meurtre au FLN ; la police confirme en parlant de « règlements de compte entre FLN et messalistes ».p.92. J’ai montré dans plusieurs livres, dont « FLN contre USTA », L’Harmattan, 2002, qu’il ne s’agissait pas de « règlements de comptes », mais de la politique contre révolutionnaire du FLN, analogue à celle utilisée par le Guépéou stalinien, comme l’a dit Alexandre Hébert au 2è congrès de l’USTA (J.Simon. Le 2è congrès de l’USTA, L’Harmattan, 2000), pendant la guerre d’Espagne contre le POUM, les trotskystes et les anarchistes, pour détruire le mouvement ouvrier.

5. L’amicale générale des travailleurs algériens, in J.Simon : « L’immigration algérienne des origines à l’indépendance », Paris/Méditerranée, 2000 (Ch.4. Syndicalistes algériens en France pendant la guerre d’indépendance. »

5. On ne saura pas que Abane a exigé la dissolution du MNA dans le FLN. Celui-ci ayant refusé, Abane chargera Yacef Saadi et ses tueurs de dénoncer à la police et d’assassiner des centaines de militants messalistes à Alger, tandis qu’Amirouche a été chargé de liquider les maquis MNA de Kabylie.

7. Plusieurs auteurs ont confirmé mon analyse sur le CRUA (J.Simon. Novembre 54. La révolution commence en Algérie, L’Harmattan, 2004 ) à savoir que le 1er CRUA fut une machine de guerre créée par le noyau dur des centralistes pour torpiller les préparatifs du Comité de Salut Public pour le Congrès extraordinaire du MTLD, la création du second CRUA est le fait du major Fathi al-Dib, chef des services secrets égyptiens, très lié aux réseau nazi installé en Egypte et créateur le 3 avril 1954 du Comité de libération du Maghreb arabe, installé Rue Abdelkhaled-Sarouat et dont l’attaché de presse était Brahim Tobbal qui « s’était mis au service des Allemands durant l’occupation de la Tunisie » Karl Laske. « Le banquier noir. François Genoud », Le Seuil, 1996, pp.140-141. Egalement : Maurice Faivre. « Le renseignement dans la guerre d’Algérie », Lavauzelle, 2007, p.17. Depuis 1952, Fathi-al-Dib s’est lié avec le banquier nazi Genoud, chargé par le Muphti de Jérusalem, Hadj el-Husseini, au moment de sa fuite de Berlin de « s’occuper de ses intérêts en Allemagne » : Pierre Péan. « L’extrémiste. François Genoud de Hitler à Carlos », Fayard, 1996, p.251. Séjournant en Suisse pendant l’été 1954, Boudiaf prend un contact qui s’avèrera durable avec Genoud. En 1962, Boudiaf, dont le fils Kherredine est hébergé par Genoud, l’invite en Algérie et « le présente à ses camarades du GPRA de façon chaleureuse : « François Genoud, notre ami à tous ! » Il le conduit partout, lui montre le pays. » Péan, op.cit, p.265. Sur le rôle des réseaux nazis en Egypte et leur liaison avec le FLN : Roger Faligot et Rémi Kauffer. « Le Croissant et la Croix gammée. Les secrets de l’alliance entre l’islam et le nazisme d’Hitler à nos jours », A. Michel, 1990, (Ch.11. L’Algérie s’embrase). Le second CRUA fut un instrument de la politique de Nasser et c’est au Caire qu’a été rédigée la Proclamation du 1er novembre 1954.

8. Dans une bio très arrangée, Harbi est présenté comme un militant très influencé par la tendance Ecole émancipée entre anarcho-syndicalisme et trotskysme, l’histoire du mouvement ouvrier international et le marxisme de la gauche critique du centralisme d’Etat et de parti (Rosa Luxembourg). En 1954-1958 quand j’étais membre de l’Ecole émancipée, personne ne m’a parlé de Harbi et il n’a écrit aucun texte dans sa revue dont les dirigeants : Pierre Broué et Robert Cheramy étaient membres du CC du PCI (lambertiste) et partisans comme le SNI et la FEN de Messali et du MNA. Le marxisme étant une praxis, tout militant aurait rejoint le combat de l’émigration ouvrière et donc soutenu le combat de l’USTA, refusé de travailler sous la direction de Mourad Tarbouche, chargé par Boudiaf d’assassiner Messali Hadj et accepté le contrôle par le PCF de l’AGTA, cette filiale du FLN chargée de la caporalisation de l’émigration avec l’aide des commandos de tueurs de Ali Haroun (sa bio est absente). Aucun marxiste n’aurait accepté par la suite de se placer dans le même camp que Ahmed Mahsas, « engagé dans les rangs de la Wehrmacht et de la waffen SS » (Faligot-Kauffer, op.cit, p.203 ), de M’Hamed Yousfi, alias « Angel » lié au réseau Gehlen, de Mohamed Seguir Nekkache, ancien membre de l’Abwehr, futur ministre de la Santé dans le régime Ben Bella et de Mohamedi Saïd, ce waffen SS devenu chef de la wilaya III et principal responsable du massacre de Melouza.

9. « Pour en finir avec la guerre et permettre un avenir libre, Messali préconise une table ronde réunissant tous les partis politiques algériens. A partir de 1958, il compte sur le général de Gaulle pour engager cette solution. Cette 3è voie compromet Messali et plus encore laisse place à des liaisons douteuses entre les groupes du MNA et les services français et la police qui traque le FLN. » Le mur de Berlin est tombé, mais certains communistes ont gardé leur logiciel stalinien.

10. Challiand (Gérard). « L’Algérie est-elle socialiste ? », Maspero, 1964 ; Guérin (Daniel). » L’Algérie qui se cherche, Présence africaine, 1964 et : « L’Algérie caporalisée ?, EDI, 1965 ; (trois ouvrage critiques) ; Laks (Monique). « Autogestion et pouvoir politique en Algérie, 1962-1965 », EDI, 1970 (très sceptique) ; Duprat (Gérard). « Révolution et autogestion rurale en Algérie », PFNSP, 1973 ; Raffinot (Marce). « Le capitalisme d’Etat algérien », Maspero, 1977 ; Dersa : « L’Algérie en débat », Maspero, 1981 (lucides); Challiand (G)-Minces (Juliette) « L’Algérie indépendante, Maspero, 1972 (très complet sur la période 1962-1972).

11. Péan, op.cit, p.269.

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MARS 2007

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> M a r s >< e n >< A l g é r i e <

En Algérie, Mars est souvent un mois sensible chargé d'évènements importants : la fondation du PPA (11 mars 1937), le Congrès des AML (mars 1936), le ralliement de toute la Fédération de France et de la plupart des Kasmas d'Algérie, au Comite de Salut Public (CSP) qui derrière Messali Hadj va refonder le MTLD sur les principes du nationalisme (mars I954), la manifestation massive des Algériens devant le Parlement français, pendant le vote sur les pouvoirs spéciaux (mars1954), la signature des Accords d'Évian mettant fin à la guerre d'Algérie (mars 1962). Autant d’évènements dans la longue chaîne du mouvement nationaliste, fondé sur une idée forte : constituer le peuple algérien en nation souveraine à l’issue d’élections libres et au suffrage universel de tous les habitants de l’Algérie (Européens, Juifs et Musulmans).

Quarante cinq ans après l'indépendance, c'est la même question qui est encore posée, et s'il n'existe pas en Algérie de parti capable de porter le programme démocratique, le spectre de Messali Hadj et du vieux PPA n'a pas disparu dans la

conscience populaire comme l'attestent l’écho rencontré pendant le centenaire de la naissance de Messali Hadj à Tlemcen, les travaux des historiens sur Mai 1945 et les mémoires des acteurs de cette époque.

Au moment où le FLN est totalement discrédité par l'exercice du pouvoir depuis

1962, il convient de replacer le PPA, le parti des masses algériennes opprimées par le système colonial, dans le débat public et avec lui, son programme fondé sur la démocratie sociale et politique et son chef charismatique qui l’a fondé et dirigé.

Il y a soixante dix ans : Le Parti du Peuple Algérien (PPA)

La victoire du Front Populaire marque un tournant dans la vie politique française de l'entre deux guerres. Porté par une vague révolutionnaire qui s'exprime par des manifestations et des grèves avec occupations d'usines, le gouvernement de Léon Blum soulève tous les espoirs (1). Dès son retour de Genève où il s'est réfugié, Messali réunit le Bureau politique (Imache Amar. Radjef et Si Djilani) puis le Comité Directeur, pour faire le point sur la situation politique, 1'état du parti et 1e plan d'action. Puis c'est 1a tournée dans les usines, où les travailleurs algériens

participent aux grèves et aux occupations d'usines. Dans une grande raffinerie de sucre, rue du Caire, Messali parle :

« J'ai expliqué à l’auditoire ce que c'est que le colonialisme et le capitalisme et 1'importance de 1'union des peuples colonisés avec le peuple français. Nous sommes aux côtés du peuple français pour l’aider à arracher ses droits à la vie, au bien être social et pour nous aider à arracher les nôtres. Cette partie de mon allocation a été frénétiquement applaudie par les

travailleurs français et algériens (2). »

Dans les meetings, les dirigeants de 1'Étoile adressent leurs félicitations au Front Populaire et ils se réjouissent quand le Congrès SFIO de la salle Huygens approuve à l'unanimité les propositions de sa Commission coloniale. Aussi les rencontres avec Jules Moch et Raoul Aubaud, du cabinet Blum sont cordiales mais des mesures économiques et sociales applicables sans délai sont demandées, ainsi que 1a suppression des discriminations et mesures d'exception (le code de 1'indigénat, la police de la rue Lecomte...).

La première démarcation s'effectue en juillet, quand une délégation du Congrès

Musulman Algérien (CMA)(3), venue a Paris apporter son soutien au projet Viollette sur l'Algérie refuse tout accord avec l’Étoile, qui proposait le remplacement des Délégations financières par des élections libres à un Parlement algérien. Messali note que l’hostilité du PCA envers l’Étoile est une application du tournant pris par le Komintern à son VIIème Congrès et par le PCF à son Congrès de Villeurbane (22- 25/1/1936)(4).

Il prend acte de l’exclusion d’André Ferrat et de la gauche « trotskyste » du part (13 juin) et de l’orientation droitière imprimée par Barthel, successeur de Ferrat, au PCA (5). La démarcation devient affrontement après le discours célèbre de Messali au stade municipal d'Alger, le 6 août. Pendant l’été, Messali implante l’Etoile dans les principales villes d'Algérie : Alger, Tlemcen, Sidi Bel Abbès, Aïn Temouchent, Guelma, Constantine, Bône. En Octobre 1'hymne du parti « Fi daou El Djezair » composé par le militant poète Moufdi Zakaria est entonné par les Etoilistes dans tous les meetings. La presse coloniale qui assiste à 1'entrée tumultueuse de l'Etoile nord-africaine dans la vie politique, se déchaîne contre Messali. De son côté, le PCF qui avait voté le budget colonial de l’année 1937, le 15 décembre 1937 :

« Engagea à Paris et en banlieue, une vigoureuse campagne contre 1'Étoile, accusée d’être un parti lié aux colons fascistes. Au congrès national du parti tenu en janvier 1937, Ben Ali Boukhort, délégué de l’Algérie, l’attaqua publiquement. Le 24 janvier à Alger, durant le congrès musulman d’Alger qui comportait un millier de délégués, l’assistance expulsa non sans vigueur, avec le concours effectif des communistes, une centaine de membres de l’Etoile, qui avaient entonné l’hymne de l’indépendance (6). »

Dans le même temps, la direction du Congrès musulman, entraînée par le PCA, s’adresse à Blum pour qu’il interdise l’Etoile. Ces attaques autorisent tous les coups. À Alger le Journal Officiel publie une série de décrets contre 1émigration algérienne. Et c'est l'interdiction de l’Étoile. Devant le Sénat; le 29, janvier, le sous secrétaire d’État à l’intérieur, Raoul Aubaud précisera que la décision fut prise « au moment où l’Étoile nord-africaine était désavouée par les populations musulmanes et d’ailleurs aussi par le parti communiste (7). »

La direction de l'Étoile dénonce la mesure prise dans un numéro spécial de El Ouma et plusieurs meetings de protestation contre 1'interdiction sont tenus dans la région parisienne. Dans le même temps, des mesures sont prises pour que le parti poursuive ses activités et que les militants se regroupent dans un cadre nouveau : « Les Amis d’El Ouma ».

La dislocation évitée, la direction élabore les statuts d’un nouveau parti qui sont déposés à la Préfecture de Nanterre, le 11 mars. Le soir, devant 300 militants.Messali et Abdallah Filali annoncent la fondation du parti du peuple algérien, le PPA.

Brèves conclusions

La période du Front populaire est riche d’enseignements. Elle établit que l’Étoile était la seule organisation à se placer sur le terrain du nationalisme, à la différence de Ben Badis et des Oulémas, de Ferhat Abbas et des Élus, comme du PCA qui soutenaient le projet néocolonialiste de Viollette.

Par ailleurs, il n’est pas secondaire que le PPA ait été fondé à Nanterre, au sein de l’immigration ouvrière et que l’ENA comme le PPA se soient construits dans des villes, parmi la population laborieuse en France comme en Algérie. On ne peut donc parler d’une rupture politique et programmatique entre l’Étoile « ouvrière »et le PPA « populiste ».

Il est aussi important de savoir que l’ENA et le PPA ont mené le combat pour

l’émancipation sociale et politique du peuple algérien, en recherchant l’alliance du peuple français et de sa classe ouvrière, malgré la politique d’union nationale menée par ses directions. Cela explique le refus de toute dérive fasciste et antisémite par Messali et la direction du PPA internée à Maison Carrée, à la différence de la quasi-totalité des paris politiques du Moyen Orient qui, à l’exemple du Muphti de Jérusalem, se sont alliés à l’Allemagne de Hitler.

Il faut donc cesser de dire, comme le fait Benjami Stora, que le PPA fut la matrice du Front islamique du salut (FIS)(8).

À l’opposé de ses analyses, on dira que l’histoire du FIS, du GIA comme celle du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) est à rechercher dans l’écrasement du MNA et de la révolution algérienne par l’armée des frontières, qui a créé, avec Boumediene, un État militaro-policier, fondé sur le parti unique avec l’islam comme religion d’État. On regardera aussi du côté de l’Arabie Saoudite dont le régime est fondé sur le wahabisme.

 

Notes :

 

1. El Ouma, Juin 1936.L'article de Messali écrit à Genève est reproduit dans ses

Mémoires, Cahier n°12, pp.4714-15.

2. Messali, Mémoires, Cahier n°13, p.4 794.

3. Le Congrès Musulman regroupant la Fédération des Elus, les Oulémas et le

PCA tient sa première réunion constitutive le 16 mai 1936. Elle adopte le 7 juin,une Charte qui accordait une large place aux revendications des Oulémas

(officialisation de la langue arabe, gestion libre du culte musulman et des biens habous, accès à la citoyenneté française dans le respect du statut personnel musulman) et demandait « le rattachement pur et simple à la France, avec suppression des rouages spéciaux : les Délégations financières, communes

mixtes, Gouvernement général » (art.2).

4. À son procès, Messali dira que c’est après la signature du pacte Laval-Staline, que « le parti communiste a renoncé à son programme algérien pour devenir le champion tapageur du projet Blum- Viollette. »

5. Ancien dirigeant des JC, membre du CC et du BP du PCF et son représentant à

Moscou, de 1930 à 1932, rédacteur en chef à L’Humanité, André Ferrat était

aussi responsable de la commission coloniale. Ferrat était en désaccord avec la

ligne ultra gauchiste du PCF et le Front populaire qui « risque d’être en fait un front européen anti indigène. Et dans le meilleur des cas il est un front

indifférent aux indigènes. » E.Sivan. « Communisme et nationalisme en Algérie,

1920-1962 ». PFNSP, 1976, pp.83-85.

6. Ch-A Julien. « L’Afrique du Nord en marche. Nationalismes musulmans et

souveraineté française. Julliard, 1972 , p.107. Le 22 janvier, L ’Humanité publie une violente critique de l’Étoile : « Des correspondants nous expriment leur indignation de voir les dirigeants de l’Étoile nord-africaine prendre la même position que les gros colons Croix de feu et les fascistes d’ici contre le plan Viollette. »

7. Pour l’histoire officielle algérienne, le nationalisme est le fait de deux

hommes : l’émir Abd el Kader et Ben Badis, le chef des Oulémas. Pour Stora, le

nationalisme a trois composantes : « valeurs républicaines défendues par Ferhat

Abbas ; rôle de l’islam et pratiques religieuses autonomes voulues par

Abdehamid Ben Badis ; affirmation du fait politique indépendantiste porté par

Messali : par affrontement et complémentarité entre ces trois hommes se

dessinent les contours du nationalisme algérien ». L’Algérie en 1995, p.22. Pour

une histoire du nationalisme algérien, voir André Nouschi, Ch -R. Ageron, Ch -A

Julien et Mahfoud Kaddache, dont les travaux restent des références solides.

8. Dans Jeune Afrique du 4 au 10 juillet 1990, Stora établit « un parallèle entre le triomphe du Front islamique du salut en 1990 et celui du PPA -MTLD lors des élections d’octobre 1947. »

 

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CONTROVERSE MAI 2006

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Jacques SIMON, Le Massacre de Melouza, Algérie-juin 1957, CREAC/L'Harmattan, 2006.

Dans sa dernière livraison, l'historien Jacques Simon nous intéresse à un épisode capital de la révolution algérienne et qui provoque jusqu'à présent silence ou désinformation organisées : le massacre de Melouza (Beni Illemane) du 29 juin 1957 où plus de 300 personnes d'un douar pro-messaliste furent froidement exécutés par une unité de l'ALN/FLN. Il est d'ailleurs rappelé en quatrième de couverture que le président Bouteflika a interdit la tenue d'une conférence sur le sujet en mai 2004.

L'ouvrage se compose d'une première partie inscrivant la tragédie dans une perspective historique où l'historien fait son métier en rappelant les faits et de nombreux documents d'époque (de sensibilités politiques diverses) qui nous permettent d'avoir un panorama assez large des différentes prises de position suite au massacre ; une seconde partie est consacrée à l'analyse a posteriori de la tragédie par des hommes politiques et historiens algériens ou français, présentés et commentés par Jacques Simon (Ben Bella, Abbas, Lebjaoui, Harbi, Teguia, Cheikh, Cheurfi ainsi que Bromberger, Courrière, Guérin, Eveno et Planchais, Hamon et Rotman, Duquesne, Tripier, Vidal-Naquet, Horne, Alleg, Droz et Lever, Montagnon, Ageron, Stora, Valette, Fleury, Meynier, Pervillé) ; enfin, une indispensable chronologie couvrant la période de mai 1951 à aout 1958 (c'est-à-dire de l'expérience néocoloniale de Jacques Chevallier à la création du GPRA) nous permet de suivre l'itinéraire d'une révolution trahie, assassinée, étranglée par les forces conjointes de l'impérialisme, du stalinisme et de leurs relais.

Le lecteur honnete qui voudra se faire sa propre opinion sur cette tragédie, les responsabilités et la portée de l'événement dans la dynamique de la révolution aura toutes (ou presque) les cartes en main pour le faire car il ne s'agit pas là d'idéologie mais de compréhension sans tabou.

Ce que nous permet de comprendre l'ouvrage de Jacques Simon c'est que le massacre n'est pas un fait isolé ou une bavure d'un quelconque chef militaire mais qu'il s'agit bel et bien d'une exécution programmée et décidée par l'état-major du FLN dans un contexte très précis : l'élimination du MNA de la scène politique, l'extermination de la direction de l'USTA dans le but de s'imposer comme seul interlocuteur avec la France et confisquer l'indépendance tandis que le mouvement ouvrier et démocratique, relayant les mots d'ordre du MNA, défendait l'idée d'une Table ronde, d'un "Aix-les-Bains" algériens où chaque tendance serait représentée, prélude à la Constituante souveraine, au programme du PPA.

C'est aussi le rôle éminemment contre-révolutionnaire et criminel d'un Abane Ramdane qui est aussi mis en relief par l'historien. Comment comprendre que d'aucuns aient pu comparer cet homme au résistant français Jean Moulin? A vouloir pousser trop loin l'analogie avec la résistance française à l'occupation nazie, on aboutit souvent à de sordides contradictions et contre-vérités.

Lé vérité, elle, se place toujours du côté des opprimés.

Le Massacre de Melouza, un livre à lire, à faire lire, à discuter.

"Le peuple algérien conservera impérissable dans sa mémoire votre souvenir" (extrait d'un tract du MNA de juin 1957)

Nedjib SIDI MOUSSA