La
Révolution Prolétarienne N°745 juin
2004 L'Union
Syndicale des Travailleurs
Algériens Une
expérience syndicale en pleine guerre
d'Algérie En
février dernier, notre camarade Jacques Simon
fut interviewé sur les ondes de la radio FPP,
sur l'Union Syndicale des Travailleurs
algériens, dont il fut un temps,
secrétaire général. UN SYNDICAT
DÉMOCRATIQUE ET INDÉPENDANT Qui
connaît l'USTA, ce syndicat démocratique
et indépendant créé pendant la
guerre d'Algérie pour défendre " les
intérêts matériels et moraux de
tous les travailleurs. sans distinction de race,
d'opinion ou de religion ", dans la perspective d'une
solution démocratique à
l'émancipation sociale de la classe
ouvrière algérienne ? Rares sont les
livres sur la guerre d'Algérie qui en parlent.
Pourtant la fédération de France de
l'USTA a réuni. en pleine guerre
d'Algérie, jusqu'à ? 5 000
adhérents de l'émigration
algérienne (qui comptait environ 400 000
personnes). Durant sa brève existence, la
fédération de France de l'USTA a
organisé deux congrès réunissant
chacun plus de 300 délégués pour
se prononcer sur des questions syndicales mais aussi
sur la libération de la femme
algérienne, sur l'industrialisation et la
réforme agraire en Algérie, sur le
pétrole du Sahara et les expériences
nucléaires. Pour la première fois, les
travailleurs algériens prenaient en main la
défense de leurs
intérêts. En faisant, dans
son premier congrès, une
référence claire à la place du
prolétariat dans la transformation à
venir de la société algérienne,
l'USTA se distinguait des organisations
algériennes antérieures comme L'Etoile
Nord-Africaine ou le Parti du Peuple Algérien.
L'USTA. se réclamait de l'internationalisme
prolétarien. Elle s'affirma également
toujours solidaire des combats de la classe
ouvrière française. dans une
période où le FLN parlait d'un " peuple
français ennemi ". UN
ÉPISODE OCCULTÉ DE LA GUERRE
D'ALGÉRIE Si la brève histoire de l'USTA
a pu être oubliée, c'est aussi parce que
le FLN s'est lancé dans une guerre afin
d'anéantir l'USTA, créant, au sein de la
communauté émigrée
algérienne, un traumatisme profond qui fit
taire les survivants. Mais pour comprendre ces luttes,
il faut d'abord rappeler la situation du mouvement
nationaliste algérien de la seconde guerre
mondiale. Au sein du
Mouvement pour le Triomphe des Libertés
Démocratiques (MTLD), créé en
1947 comme mouvement légal succédant au
Parti du Peuple Algérien clandestin, des
conflits au sujet de la lutte armée ou de la
participation électorale donnent naissance
à deux mouvements nationalistes
algériens violemment antagonistes : le Front de
Libération Nationale (FLN), à l'origine
des attentats du 1er novembre 1954 ouvrant ce qu'on
n'appelait pas encore "la guerre d'Algérie", et
le Mouvement National Algérien (MNA),
mené par le leader historique Messali Hadj. En
France, au début de la guerre d'Algérie,
l'émigration algérienne est sous
l'influence du MNA, seul parti algérien
organisé, tandis que le FLN est encore
inconnu. L'USTA TROUVE LE
SOUTIEN DE LA GAUCHE RÉVOLUTIONNAIRE
FRANÇAISE L'USTA est constituée à
Alger, le 14 février 1956, sous l'impulsion du
MNA. Mais au lendemain du vote des pouvoirs
spéciaux par l'Assemblée nationale, le
12 mars 1956, les cadres de l' USTA sont
arrêtés par la police française,
ce qui sonne le glas de l'implantation de l'USTA en
Algérie. L'influence de
l'USTA se limite dès lors au territoire
français. Les premières sections sont
créées en France dans les mines, la
chimie, le bâtiment et les travaux publics, la
métalllurgie et la sidérurgie. là
où l'implantation algérienne est forte,
essentiellement dans le Nord et dans l'Est. La
création de la Fédération de
France de l'USTA reçoit le soutien de la gauche
socialiste révolutionnaire française (la
Fédération Communiste Libertaire de
Fontenis, La Révolution Prolétarienne de
Monatte, des communistes libertaires comme Daniel
Guérin) et de certains syndicats comme la FEN.
Par contre, le PCF, la CGT et la CGT-FO sont hostiles
à ce qu'ils considèrent comme une
entreprise de division des travailleurs (les
émigrés algériens sont en effet
pour la plupart encartés à la CGT et
servent de masse de manuvre au PC et à la
CGT). L'USTA
s'implante si rapidement que, bientôt, 80%( des
adhérents algériens de la CGT l'ont
rejointe. L'hostilité des appareils syndicaux
et du PCF est encore renforcée par la
condamnation par l'USTA des invasions
impérialistes en Egypte lors de la crise de
Suez et de l'agression soviétique à
Budapest, lors de l'été 1956.
L'isolement croissant de l'USTA favorisant la
répression policière, des centaines de
cadres et de militants sont arrêtés dans
la métropole, fin 1956 et la
Fédération de France de l'USTA se trouve
décapitée. I "L'HEURE DU
POIGNARD " Le FLN veut détruire par la calomnie
et l'assassinat l'emprise du MNA et de l'USTA sur les
travailleurs algériens de France et
d'Algérie. Selon le FLN et ses
défenseurs, l'USTA ne serait pas un vrai
syndicat mais la couverture du MNA, de surcroît
largement infiltrée par la police. Soutenu par
des cadres de l'appareil stalinien français et
international, le FLN forme des groupes de choc pour
organiser des attentats contre le MNA et l'USTA qui
répondent par la formation de leurs propres
groupes de choc. En mai 1957 à Melouza, dans
une région d'Algérie où le MNA
conservait son influence, la milice du FLN mitraille,
poignarde, tue à la hache 300 villageois
musulmans qui s'étaient élevés
contre l'exécution de cinq
habitants. C'est dans ce
contexte de terreur que la Fédération de
France de l'USTA organise son premier congrès
les 18-29-30 juin 1957, salle des Horticulteurs
à Paris. Il réunit 324
délégués représentant plus
de 25 000 adhérents ayant payé
régulièrement leur cotisation, dont une
délégation de femmes algériennes
organisées au sein de l'USTA. Le 1,` septembre
1957. Messali Hadj lance seul un appel à la
trêve avec le FLN. Mais. entre septembre et
octobre 1957, 5 hauts responsables de l'USTA sont
assassinés par le FLN, dont Abdallah Fillali et
Ahmed Bekhat. secrétaire général
de l'USTA. Un texte de protestation contre ces
méthodes dignes de la Guépéou.
parait au mois d*octobre. Il rassemble les signatures
d'un nombre considérable de
personnalités syndicales, politiques et
intellectuelles, dont celles d'André Breton,
Daniel Guérin. Pierre Lambert. Auguste Lecaur,
Clara Malraux, Benjamin Péret. Marceau Pivert
et Laurent Schwartz. Albert Camus, proche des milieux
syndicaliste-révolutionnaires, écrit
dans La Révolution Prolétarienne: "
Allons-nous laisser assassiner les meilleurs militants
syndicalistes algériens par une organisation
qui semble vouloir- conquérir, au moyen de
l'assassinat, la direction totalitaire du mouvement
algérien ?". La gauche révolutionnaire
reconnaît dans ces méthodes celles
utilisées par les staliniens en Espagne et
ailleurs pour éradiquer toute opposition et
s'imposer comme seul représentant de la classe
ouvrière. LE DÉCLIN
DE L'USTA Après ces attaques
meurtrières. le recul de l'USTA est manifeste
partout, sauf dans son bastion du Nord (Douai. Lille.
Valenciennes. Roubaix). Son organe, La Voix du
Travailleur Algérien. cesse de paraître.
Le FLN, qui a acquis une assise populaire au sein de
la communauté algérienne, est
désormais reconnu en France et au niveau
international comme le seul interlocuteur valable. De
nombreux cadres de l'USTA cessent toute
activité, acceptent la tutelle du FLN, ou
recherchent la protection de la CGT, leur ancienne
centrale. Inaugurant son
mandat présidentiel le 8 janvier 1959, le
général de Gaulle s'oriente vers une
solution politique au problème algérien
qui, selon lui, " ne saurait procéder que du
suffrage universel ". Comme mesure de clémence.
Messali Hadj et 7 000 détenus algériens
sont libérés. Lu Voix du Travailleur
Algérien peut reparaître après
sept mois d'interruption, avec pour la première
fois, une page et demie en langue arabe. Mais le 6
juin 1959, le secrétaire de la région
parisienne de l'USTA, Mohammed Nadji, est victime d'un
attentat. En octobre 1959, Messali Hadj
n'échappe à un attentat que grâce
au sacrifice de son garde du corps. Le 2ème
congrès de la Fédération de
France de l'USTA se tient les 27-28-29 novembre
à Lille et réunit 351
délégués dont 10 femmes
algériennes. Messali Hadj y fait un très
long discours et appelle à l'unité avec
le mouvement ouvrier français. Dans son
rapport, l'USTA considère que " le principe
d'autodétermination du peuple algérien,
proclamé le 16 septembre 1959 [par le
général de Gaulle] et pour laquelle
elle n'a cessé de lutter, est la seule voie
permettant d'aboutir à la solution juste,
libérale et démocratique du
problème algérien ". Au lendemain du
congrès, Bekhri Mohammend, ouvrier
métallurgiste et membre de la commission
exécutive de l'USTA est criblé de 83
balles par cinq tueurs du FLN. L'influence de
l'USTA ira en s'affaiblissant jusqu'aux accords
d'Evian, ne trouvant plus aucun soutien auprès
des partis ouvriers, des syndicats et de l'opinion qui
accordent à de Gaulle tous les pouvoirs pour se
débarrasser du " boulet algérien ". Le
1er mai 1962, l'USTA, qui se réclame toujours
de l'internationalisme prolétarien, annonce
qu'elle poursuivra désormais le combat en
Algérie pour un syndicat de base
indépendant.