L'OURS : revue
de l'Office Universitaire de Recherche
Socialiste MESSALI HADJ
contre l'impérialisme, le fascisme et
l'antisémitisme C'est en
février 1934 que Messali Hadj, secrétaire
général de l'Etoile Nord-Africaine se
dégage de sa relation, conflictuelle mais
exclusive, avec le PCF pour nouer des liens avec la
gauche socialiste, les trotskystes et les groupes menant
la lutte contre l'impérialisme, le fascisme et
l'antisémitisme. 1.Le contexte
historique En 1929, le
krack boursier d'octobre 1929 aux Etats-Unis va, en
s'élargissant à la sphère de la
production, affecter gravement la
société américaine. En
s'internationalisant, la crise va toucher l'Allemagne
dont l'économie s'effondre en 1931. C'est dans
ces conditions qu'Hitler qui s'est fortement
rapproché du patronat, devient le 30 janvier
1933, chancelier du Reich. Vivant quelque
peu en marge du capitalisme mondial et
protégé par l'archaïsme de ses
structures économiques, la France ne sera
affectée par la crise qu'à l'automne
1931. Très vite, la crise économique
devient sociale et touche directement les partis du
gouvernement, radicaux et modérés, et,
au delà, le régime parlementaire
lui-même. Du printemps 1932 au début de
l'année 1934, le parti radical use au pouvoir
ses principaux chefs, Edouard Herriot, Edouard
Daladier, Camille Chautemps, Albert Sarraut, sans
parvenir à gouverner vraiment. L'arrivée
d'Hitler au pouvoir va exacerber les tensions sociales
et politiques. C'est dans ce contexte de paralysie du
régime qu'éclate l'affaire Stavisky.(1)
En janvier, les ligues et diverses organisations (2)
manifestent pour remplacer la République par un
régime fort. Le 6 février, les Ligues et
l'Union Nationale des Combattants appellent à
une grande manifestation devant la Chambre, pour
demander la démission d'Edouard Daladier qui a
remplacé au gouvernement Camille Chautemps. La
police s'oppose puis tire sur les manifestants sur le
pont de la Concorde, faisant 16 morts et 665
blessés.(3) Gaston Doumergue succède
à Edouard Daladier, mais consciente de la
profondeur de la crise sociale et politique, la CGT
appelle à la grève
générale et participe avec la SFIO et le
PCF à une manifestation de la porte de
Vincennes à la Nation. 2.L'Etoile
Nord-Africaine et la crise de février
1934 Menacée
de dissolution en 1929, l'Etoile (ENA) a
traversé une période difficile jusqu'en
1932, par le fait de la crise économique qui a
frappé les travailleurs immigrés, la
répression policière, la poussée
de la xénophobie et l'hostilité du PCF
qui veut prendre son contrôle. Malgré
tout, Messali Hadj, le secrétaire
général de l'Etoile, redresse la barre.
II lance El Ouma, un journal de propagande,
d'information et d'organisation, inspirée de
l'Iskra de Lénine (4) puis il dirige le 28 mai
1933, au 49 rue de Bretagne, une Assemblée
générale qui dote l'Etoile d'un
programme prolétarien radical et la structure
sur le modèle communiste (5) car le danger
approche. " En ces
années 33-34, la paix du monde était
menacée à la fois par le colonialisme et
par le fascisme italien et allemand. Un mouvement
antifasciste et anti-impérialiste prenait son
essor au sein de la classe ouvrière et de la
gauche française. Il était temps, car,
à Paris, les jeunesses patriotiques
commençaient à manifester devant la
Sorbonne et le boulevard Saint-Germain, tandis
qu'Hitler devenait chancelier. Ce fut alors le 6
février 1934, les affrontements entre les
manifestants anti-fascistes et les forces de police,
les tentatives pour s'emparer de la Chambre des
Députés, les morts et les blessés
de part et d'autre (...) On sait que de
nouveaux affrontements eurent lieu et qu'une
deuxième manifestation se déroula le 9
février 1934, Place de la République,
puis une troisième, le 12 février 1934,
cours de Vincennes (...). II y avait des dizaines et
des dizaines de milliers de manifestants. Les gens
parlaient par groupes et insistaient sur la
nécessité de l'unité de la
gauche. On scandait le mot d'ordre " unité
d'action ". Tous les grands dirigeants et élus
du Parti socialiste, du PCF, du Parti radical et
d'autres associations de gauche étaient
présents. Des discours ont été
prononcés par Blum, Paul Faure, Marcel Cachin
et Duclos. Après cela, le cortège de la
manifestation se mit en branle au rythme des chansons
révolutionnaires. Tout cela me
donnait à penser. L' Etoile Nord-Africaine
prenait l'allure d'un parti politique, avec des
structures de plus en plus solides. Aussi je me dis
que notre place était tout indiquée
à côté du peuple français
et du socialisme démocratique. Certes, le
socialisme français ne se préoccupait
guère de nos revendications nationales, mais
malgré tout, il y avait des
possibilités, au sein de la gauche, de plaider
notre cause auprès de l'opinion publique.
Réunis successivement, le bureau politique, le
Comité directeur et une assemblée
générale approuvèrent cette
position. Le
tête-à-tête avec les communistes
prenait définitivement fin. Nous traitions
d'égal à égal avec les
différents groupements de la gauche
française et de nouvelles perspectives
s'ouvraient " (6) Début
février, Messali est mandaté par le
Bureau politique pour suivre la situation. Le 6
février, il rencontre Daniel
Guérin. " A l'occasion
de l'émeute fasciste du 6 février 1934,
je fis la connaissance de l'Algérien Messali
Hadj, l'animateur de l'Etoile Nord-Africaine, venu
offrir à la Fédération de la
Seine son concours pour contrecarrer la propagande des
" logues " auprès des travailleurs
nord-africains. Messali
était alors un grand jeune homme un peu osseux,
vêtu à l'européenne et portant un
soupçon de moustache noire. " (7) A partir du 6
février, les Etoilistes sont présents
dans les manifestations de la gauche et ils
débrayent pendant la grève
générale du 12 février. Sans
tarder, le gouvernement qui redoute une alliance entre
l'Etoile et la gauche, réagit en intimidant
Messali. : " J'eus droit
à une première perquisition de la police
à mon domicile, faite par un juge d'instruction
et un commissaire de police. Comme avocat, je pris
Maître Jean Longuet, mais le PCF ne fut pas
content de mon choix. En revanche, le Parti socialiste
commença à nous ouvrir ses portes et
à prêter plus d'attention à notre
situation. Notre prestige augmentait alors
considérablement auprès des
étudiants et des travailleurs algériens.
" (8) Cette liaison
avec la gauche socialiste et révolutionnaire
conduira Messali à participer à tous ses
combats jusqu'en 1939. 3.Contre le
fascisme, le nazisme et
l'impérialisme Messali est
très au courant des problèmes du
Moyen-Orient et il sait que dans la Palestine du
Mandat anglais, les affrontements sanglants entre les
Sionistes et les Arabes à Jérusalem ont
créé une situation qui sera
exploitée par l'Italie puis par
l'Allemagne. C'est ainsi que
Mussolini soutiendra l'émir Chekib Arslan qui
lutte pour la Nahdah , la renaissance du monde arabe
qui passe en grande partie par la reconstruction de la
Grande Syrie (Syrie+Liban+Palestine) et par le
réveil du Maghreb occupé par la France.
La revue qu'il créée à
Genève en 1930, la Nation Arabe , une revue
panislamique et panarabe, exercera une influence
profonde sur les leaders indépendantistes du
Maghreb et du Proche-Orient. (9) A la même
date, Messali développe dans El Ouma, une
orientation opposée et mène une
politique fondée sur le front unique ouvrier,
l'internationalisme prolétarien et
l'anti-impérialisme. Cette lutte se mène
sur des positions de classe et jamais sur les
positions du nationalisme arabe. Pendant
l'été 1935, l'Etoile condamnera
l'agression italienne de l'Ethiopie et refusera tout
contact avec le Grand Muphti de Jérusalem Hadj
Amine el-Husseini qui, par haine du sionisme, ira
à Berlin proposer ses services à
Hitler. Quand en 1935,
Messali ira se réfugier à Genève
auprès de l'émir Arslan, il se
démarque nettement de lui sur la question
syrienne. Messali demandera à l'Etoile de mener
en commun avec les Syriens la lutte contre
l'impérialisme français et non pas pour
une Syrie, coeur de la Nation arabe. 4. Contre
l'antisémitisme en Algérie et en
France A Constantine,
la capitale de l'Est algérien, les Juifs qui
formaient 12% de la population occupaient des
positions importantes dans le commerce de gros, les
banques, les professions libérales,
l'enseignement et la fonction publique. Ils assurent
aussi la fonction traditionnelle de prêteurs et
d'usuriers. Dans les
années trente, la crise économique
frappe durement le monde rural, avec des effets
ravageurs dans le Constantinois. Endettés
auprès des Caisses Agricoles Régionales
ou des prêteurs juifs, les paysans
algériens doivent céder à des
prix très bas leur bétail et leurs
terres à leurs créanciers et ils
refluent dans Constantine à la recherche d'un
travail. Dans ce contexte, les troubles du
Proche-Orient, la campagne lancée par la Ligue
antisémite en direction des Musulmans, au
lendemain de la victoire d'Hitler, et les
manifestations de février 1934 ont
créé un climat où les relations
entre Juifs et Arabes deviennent tendues. Il a suffi
d'un incident pour que des bagarres éclatent et
dégénèrent en un pogrom (3-5
août 34). Le bilan sera
très lourd : 23 morts et 500 blessés
chez les Juifs, 4 morts et 72 blessés chez les
Musulmans. L'Etoile et le
PCF s'étant rapprochés depuis 1934,
Messali et André Ferrat tiennent le 19
août, devant 3 500 immigrés
algériens un meeting commun dans la grande
salle de la Grange aux Belles où " ils
stigmatisent avec force la provocation de
l'impérialisme français, laquelle a
engendré à Constantine un drame sanglant
". A cette
occasion, un pacte d'unité et d'action est
signé entre l'Etoile, le PCF, le Secours rouge
et la ligue anti-impérialiste. Lorsque le PCF
changera de ligne en 1936 et agira pour que le
gouvernement Blum interdise l'Etoile, pourtant
adhérente au Front populaire, Messali
précisera dans un article à ses amis
socialistes, le combat qu'il a mené contre
l'antisémitisme. "... Nous
n'avons jamais été antisémites,
et pour preuves, nos relations cordiales avec Bernard
Lecache, chef de la LICA (Ligue internationale contre
l'antisémitisme). En 1935, j'ai
parlé dans un grand meeting à
Clermont-Ferrand, organisé par le Front
populaire, en compagnie de Gabriel Cudenet et de
Bernard Lecache. Depuis ce jour, en rentrant à
Paris, Bernard Lecache m'avait invité à
son bureau où il me promit de soutenir
énergiquement nos revendications au sein du
Conseil national du Front populaire, tant il
était satisfait de notre collaboration et de
nos sentiments. Au lendemain du 14 juillet 1936,
Bernard Lecache qui a vu combien notre cortège
était important et discipliné, nous
avait écrit dans son journal, le Droit de vivre
, un appel émouvant auquel j'ai répondu
chaleureusement. Lors de ma tournée de
propagande en Algérie, où le fascisme
essaie par tous les moyens de soulever les Arabes
contre les Juifs, j'ai nettement et
énergiquement combattu cette propagande en
appelant nos frères au calme et à la
fraternité des peuples et des races. "
(11) Le combat
mené par Messali Hadj et l'Etoile puis par le
PPA pendant Vichy, contre le fascisme, le nazisme,
l'impérialisme et l'antisémisme reste
d'une actualité brûlante.Il montre que
l'on peut lutter contre l'impérialisme et
l'antisémitisme, en restant sur les positions
de l'internationalisme prolétarien, sans jamais
pactiser avec les islamistes radicaux qui poursuivent
le même combat que le grand Muphti de
Jérusalem Hadj Amine el-Husseini,
l'allié d'Hitler. Jacques Simon
(février 2004) -------------------------------------------- Notes (1) Auteur de
nombreux délits financiers qui ont
bénéficié d'une surprenante
immunité, Stavisky réussit à monter
le Crédit Municipal de Bayonne et à
escroquer, à travers lui, plusieurs dizaines de
millions. L'escroquerie est découverte fin 1933
mais Stavisky échappe à un nouveau
procès car il est retrouvé mort dans un
chalet de Chamonix. (2) L'Action
française, la Ligue monarchiste inspirée de
Charles Maurras, la Solidarité française,
l'Union Nationale des Combattants, les Croix de feu du
colonel La Rocque, etc. (3) Georges
Lefranc. Histoire du Front populaire, Payot, 1974,
p.20. (4) Messali Hadj,
sympathisant communiste en 1924, a adhéré
au PCF en 1926, sur les positions de la IIIème
internationale, dans ses quatre premiers congrès.
Secrétaire général de l'Etoile
à 28 ans et permanent du PCF, il s'est
démarqué en 1928 d'un parti devenu
stalinien, mais il est resté membre de sa cellule
du XIè arrondissement jusqu'en 1933 et tous les
Etoilistes militaient à la CGTU. Messali Hadj qui
avait suivi les cours de l'école des cadres
communistes de Bobigny, par
l'intermédiaire de Hadj Ali, connaissait
parfaitement les ouvrages de Lénine et en
particulier le " Que faire ?" auquel il fait souvent
référence dans ses
Mémoires. (5) Jacques Simon.
L'Etoile Nord-Africaine (1926-1937), L'Harmattan, (Col.
Creac/Histoire), 2002, 313p. (6) Messali Hadj.
Mémoires, Cahier manuscrit n°10,
pp.3036-3048. (7) Daniel Guérin. Ci-git le
colonialisme, Mouton, 1973, p.14. (8) Messali Hadj,
Mémoires, Cahier N'10, p.3065.(9) Roger Faligot et
Rémi Kauffer. Le croissant et la croix
gammée. Les secrets de l'alliance entre l'Islam et
le nazisme d'Hitler à nos jours. Albin Michel,
1990, pp.50-54. (10) Jacques Simon.
L'Etoile Nord-Africaine, o.c, pp.157-160.(11) Messali
Hadj. Ladissolution de l'Etoile Nord-Africaine in La
Gauche Révolutionnaire, n'15, 1 mars 1037,
cité par Daniel Guerin, Ci-git le colonialisme,
pp.307-309.