Dissidences :
bulletin de liaison des études sur les mouvements
révolutionnaires, N°9 octobre
2001 Algérie :
un nationalisme radical C'est dans leur
propre pays que les mouvements nationalistes
d'Égypte, de Syrie, de Tunisie ou du Maroc sont
nés et se sont développés. Il en est
autrement du mouvement national algérien né
en France par des travailleurs immigrés et au sein
du Parti communiste français (PCF) et de la
Confédération générale du
travail unitaire (CGTU). Les conditions historiques de sa
formation détermineront la nature et les
caractères du nationalisme algérien, sa
doctrine et son mode d'organisation, le choix de ses
alliances et son action politique. Le mouvement
nationaliste algérien est né avec
l'Étoile Nord-Africaine (ENA) en 1926 et il s'est
construit toujours en France pendant la décade
suivante. Ce n'est qu'en 1936 pendant le Front populaire,
lorsque les conditions politiques favorables ont
existé, que l'Etoile, structurée
déjà comme un parti politique, s'implante
en Algérie. Elle adapte et enrichit son programme
en restant fidèle à sa doctrine puis part
à la conquête des masses en se
démarquant du Parti communiste algérien
(PCA) et du Congrès musulman algérien qui
soutenaient le projet Blum-Viollette qui proposait
d'accorder aux élites musulmanes une place plus
grande dans la gestion de l'Algérie
coloniale. La
singularité de ce mouvement national,
défini dès l'origine comme le parti du
prolétariat algérien, c'est d'avoir
lié la question nationale à la question
sociale et d'avoir toujours inscrit son action dans celle
du mouvement ouvrier français et international.
Cela explique pourquoi toutes les forces sociales et
politiques attachées à la
préservation de l'empire colonial français
et du vieux monde font combattu avec
férocité. Cette constance dans la
répression s'explique par quatre raisons majeures:
la personnalité de son dirigeant principal, les
programmes qu'il a élaborés, la nature des
partis politiques qu'il a fondés et
présidés, la politique employée pour
mobiliser les masses et les engager dans la lutte contre
l'impérialisme français. Dans le cadre de
ce bref article, nous irons à
l'essentiel. Messali Hadj fut le
fondateur du mouvement national algérien. Il est
né en 1898 à Tlemcen, une ancienne capitale
du Maghreb central restée, malgré
l'intrusion coloniale, une " ville arabe ". Sa famille
d'origine koulouglie (métissage de turc et de
berbère) était affiliée à la
confrérie puritaine des derqaoua et vivait des
modestes revenus d'une ferme. Il fréquente
l'école de façon intermittente car il doit
gagner sa vie en exerçant de petits
métiers. Sa jeunesse est perturbée par le
durcissement du régime colonial en Oranie et par
les fièvres de Tlemcen, sous-préfecture et
garnison militaire (la conquête des confins
algéro-marocains puis du Maroc, les agressions
contre l'empire ottoman, le refus de la conscription
entraînant l'exode de centaines de
Tlemcéniens en Syrie). Pendant la guerre,
où depuis 1916, un nombre croissant
d'Algériens sont engagés, le jeune Messali,
aidé par un instituteur ami, dépouille
chaque jour la presse et dégage les faits
essentiels qu'il expose dans les trois cercles de
discussions qu'il anime. Mobilisé en
février 1918, en garnison à Bordeaux, il se
révolte contre l'application du code de
l'indigénat à l'armée, dévore
la presse et s'intéresse à la
révolution russe, au Congrès des peuples de
l'Orient et aux victoires de Mustapha Kémal,
allié de Lénine. II lit
régulièrement L Humanité , suit les
travaux du Congrès de Tours et se passionne pour
la grève générale de 1920, où
il prend conscience de la réalité de la
lutte des classes. De retour à la vie civile
à Tlemcen en 1923, Messali refuse la condition
sociale et politique d'indigène dans
l'Algérie coloniale. Il prend aussi la mesure des
limites de l'action de l'émir Khaled et du
mouvement " Jeune Algérien " ainsi que du
mouvement syndicaliste, socialiste et communiste
d'Algérie. Messali va à Paris. Il trouve un
emploi, rencontre sa future épouse et
s'intéresse à la vie politique
française et internationale. Il adhère en
1926 au PCF, à la CGTU et à ENA,
engagés dans la lutte contre la guerre du Rif.
Devenu permanent du PCF et secrétaire
général de l'ENA, il participe au
Congrès international de la Ligue
anti-impérialiste de Bruxelles (10-15
février 1927). Dans son intervention, Messali
présente les revendications de l'Étoile,
mais précédées d'un discours qui
frappera l'auditoire par le procès fait au
colonialisme français. Messe réclame
l'indépendance de l'Algérie, une
Assemblée constituante élue au suffrage
universel et une armée nationale après le
retrait des troupes françaises d'occupation. Ce
discours de Bruxelles constitue l'acte de naissance du
nationalisme algérien. Le PCF manifeste son
désaccord avec un discours opposé aux
thèses de sa commission coloniale qui ne parlait
ni d'indépendance de l'Algérie ni de
l'abrogation du régime colonial. Il perd son poste
de permanent et doit chercher du travail. II reste
président de l'Étoile mais Chabila Djilani,
cadre du PCF et de la CGTU le remplace au
secrétariat général. De son
côté, la presse française et
coloniale dénonce le discours subversif de Messali
considéré comme un dangereux communiste,
qu'il faut empêcher de nuire. En 1928 Messali se
sépare du PCF et refonde l'Étoile en
s'inspirant des thèses de la Même
Internationale, avant sa " bolchevisation " sur la
question nationale liée à la question
sociale (suppression du régime colonial et de
l'exploitation capitaliste) et à celle de
l'unité des peuples d'Afrique du Nord. Ainsi
s'expliquent le maintien des travailleurs
algériens dans la CGTU puis dans la CGT, la
construction de l'ENA puis du Parti du peuple
algérien (PPA) sur le modèle communiste, le
combat permanent pour le Front unique des travailleurs
algériens avec les syndicats et les partis
ouvriers, l'importance dans ses programmes du mot d'ordre
de la Constituante et de l'ensemble des libertés
démocratiques ainsi que les luttes menées
avec les partis ouvriers contre la montée du
fascisme (février 1934, l'agression italienne de
l'Éthiopie, le franquisme). L'historien Mohamed
Harbi ayant caractérisé le messalisme de "
populisme " et d'" arabo-islamisme ", il convient de
revenir sur la nature des partis que Messali a
fondés et dirigés: 1'Étoile
Nord-Africaine, le PPA, le Mouvement pour le Triomphe des
Libertés démocratiques (MTLD) et le
Mouvement national algérien (MNA). Le programme du
nationalisme algérien Depuis 1927 et
jusqu'en 1962, le mot d'ordre central formulé dans
tous les documents officiels et les Congrès du
mouvement national est l'élection au suffrage
universel par tous les habitants de l'Algérie
(musulmans, européens et juifs) d'une
Assemblée constituante souveraine. Cette
Assemblée devra élaborer les institutions
de l'État algérien et désigner en
son sein un gouvernement chargé d'abroger le
régime colonial (réforme agraire,
nationalisation des banques et des principaux moyens de
production), de réaliser le programme
démocratique (l'ensemble des libertés, la
laïcité de l'école et de
l'État, l'émancipation de la femme,
l'indépendance du syndicat) et de satisfaire aux
besoins économiques (le développement des
forces productives), sociaux "'instruction, le logement,
la santé) et culturels des populations
laborieuses. La mise en application de ce programme
émancipateur, effectué avec le soutien
souhaité de la classe ouvrière et du peuple
de France, se poursuivra jusqu'à la
réalisation de l'unité des trois pays du
Maghreb et à la transformation de l'empire puis de
l'Union française qui lui succède en un
Commonwealth franco-africain. A la
différence du PCF, partisan d'un Guomintang
nord-africain (" bloc des quatre classes ") et qui
établissait une longue séparation entre la
réalisation du programme démocratique et
l'indépendance, l'ENA-PPA liait de façon
étroite, organique, le combat pour toutes les
revendications démocratiques, la question
nationale et la suppression du régime colonial. II
apparaît ainsi que la Constituante n'était
jamais qu'un mot d'ordre de transition dans un processus
aboutissant à une transformation radicale des
sociétés algérienne et
nord-africaine. C'est parce que Messali Hadj s'est
démarqué depuis 1927 du PCF devenu l'une
des composantes actives de l'union nationale que les
partis qu'il a dirigés feront l'objet d'une
répression féroce et permanente, qu'il
s'agisse des gouvernements de droite, du Front populaire,
de Vichy, du Gouvernement provisoire d'Alger
dirigé par le général de Gaulle
(GPRF), de ceux de la Nème puis de la Vème
République. Les partis du
nationalisme algérien Le PCA
s'étant présenté comme le seul
parti de la classe ouvrière algérienne,
à l'opposé du PPA qualifié de "
nationaliste petit-bourgeois N, " populiste N et "
arabo-islamiste ", Messali répondra dans El
Ouma (décembre 1937) que le PPA : " C'est une
organisation exclusivementcomposée d
AIgériens. Elle n'est pas l'organisation des
Indigènes en général. Elle est
celle, plus précisément des travailleurs
qui forment la majorité de ses
adhérents, des basses couches de la bourgeoisie
moyenne et des petits industriels ; les professions
libérales et intellectuelles
représentent une minorité dans son
sein. Sa politique
reflète sa composition sociale, elle appuie les
revendications sociales interprétant les
désidérata et les aspirations des masses
profondes dont le PPA est l'émanation
". Cette
caractérisation de parti prolétarien est
permanente. Elle s'exprime dans les principaux textes
du parti, dans la presse et dans faction politique
(lutte contre l'antisémitisme lors des
émeutes antijuives de 1934 à
Constantine, le racisme et le fascisme, participation
active à toutes les actions de la classe
ouvrière). Les
structures Carte de
propagande du PPA à la gloire des responsables
du Parti arrêtés en août 1937 (dans
le médaillon : Messali Hadj ; dans le
croissant, de droite à gauche : Khalifa
Benamar, Moufti Zacharia, Racine Lakouel) une
Assemblée générale ou un
Congrès de délégués
élus. Il présentait un rapport
financier, d'activité et d'orientation.
Après le débat, les
délégués adoptaient une
résolution générale et
procédaient à l'élection des
organes de direction. Outre le Comité
directeur, plusieurs commissions étaient mises
en place: organique, presse, propagande, syndicalisme,
finances. Après la
seconde guerre mondiale, dans le cadre de
l'Algérie du Statut et du fait d'une
répression permanente, le mouvement
nationaliste se dote d'une organisation légale
et de structures clandestines : - Le Mouvement
pour le triomphe des libertés
démocratiques (MTLD). II participe à la
vie politique (élections dans le second
collège aux élections municipales,
à l'Assemblée algérienne et au
Parlement français). - l'Organisation
spéciale (OS). Cette structure paramilitaire
rattachée au secrétaire
général et au président, sera
dissoute en 1950 puis reconstituée sous une
forme différente en 1952. - la Commission
syndicale. Elle élabore une plateforme
revendicative et donne les directives aux militants
syndicalistes regroupés dans des cellules du
MTLD au sein de la CGT en France et en
Algérie. -
Dernière structure mal connue, le PPA
clandestin formé d'un noyau de militants de
confiance, rattachés au président
Messali. La vie politique
s'organise dans le cadre des structures, des
Commissions, des campagnes électorales et de
solidarité pour les victimes de la
répression, de la participation aux meetings et
aux défilés du ler mai et du 14
juillet. La
cohésion du parti est assurée par le
Bureau Politique et le Comité central qui
diffuse des circulaires et des bulletins
intérieurs, publie des brochures et assure la
parution régulière de la presse qui
garde toujours, depuis El Ouma , dont le premier
numéro est paru en 1930, le caractère
d'une presse d'information et de propagande ainsi
qu'un cadre d'organisation. A côté du
parti, il existe des couronnes: les clubs de football,
les medersas (écoles privées du parti),
le mouvement des scouts, le Comité national des
chômeurs, le Comité de solidarité
avec les victimes de la répression (CSVR),
etc. Au total, le
MTLD devenu le principal parti politique
algérien fut un parti à l'organisation
complexe et à la vie intérieure
très riche. Déchiré par une crise
entre le Comité central, partisan du maintien
de l'Algérie dans le cadre du statut de 1947 et
les messalistes plus radicaux, le MTLD fut
refondé au Congrès d'Hornu en juillet
1954 et sa nouvelle direction, le CNRA sera
chargée de préparer l'insurrection en
décembre 1954. Mais Boudiaf avec le
réseau d'activistes du CRUA, déclenche
avec le soutien de Nasser, la " Toussaint rouge ".
Surpris, les cadres et militants messalistes sont
durement frappés (arrestations massives,
tortures des cadres et dissolution du MTLD). Ceux qui
échappent à la répression,
s'engagent aussitôt dans la lutte armée.
Le MTLD ayant été dissout, ils fondent
le Mouvement national algérien (MNA) en
décembre 1954 et engagent tous les militants
dans la formation d'une Armée de
libération nationale (ALN) qui se
réclame toujours en 1955 de la
Constituante. En 1956, le MNA
prend l'initiative de fonder le premier syndicat
algérien indépendant, l'Union syndicale
des travailleurs algériens (USTA). A son
premier congrès en juin 1957, il apparaît
que l'USTA est l'organisation syndicale
représentative de la grande majorité de
l'émigration ouvrière algérienne.
Par ailleurs, dans son projet de rapport moral, dans
son document sur la question agraire comme dans ses
résolutions, l'USTA est bien un syndicat de
classe, unitaire et démocratique,
indépendant de tout État et de tout
parti. Dans son message aux
délégués, Messali Hadj
considère que la création de l'USTA dans
le contexte de la guerre d'indépendance, est un
évènement aussi important que la
création de l'Étoile nord-africaine dans
la mesure où il est ouvert à tous les
salariés (européens et musulmans), qu'il
accepte la démocratie ouvrière en son
sein et se dispose à faire de la classe
ouvrière algérienne la force sociale
principale pour l'édification d'une
Algérie indépendante et
socialiste. Le MNA et l'USTA
sont vivement combattus par les forces de l'ordre en
Algérie et en France. Ils doivent aussi
affronter le Front de libération nationale
(FLN) dont l'un des objectifs principaux est de faire
disparaître le MNA en conjuguant l'insulte et la
liquidation physique avec les méthodes du
stalinisme. Le MNA refuse de se dissoudre dans le FLN
et reste fidèle à son programme: des
élections libres à une Assemblée
constituante souveraine. La Féà5xaticn
de l'éckacatirn naticnale (FIN ), La
Révolution prolétarienne et la gauche
socialiste et révolutionnaire restent,
jusqu'à la signature des accords
d'Évian, partisans d'une solution
démocratique en Algérie, celle que
réclamait le MNA avec la table
ronde. En conclusion de
ce bref article, insistons sur l'originalité du
mouvement national algérien: sa fondation par
l'émigration ouvrière en France, un
programme inspiré par les résolutions de
la IIIème internationale dans ses quatre
premiers congrès, la création de partis
sur le modèle communiste, la recherche
permanente d'une alliance avec le mouvement ouvrier
français et international. A un moment
où les temps semblent mûrs pour
l'écriture sans tabou de la guerre
d'Algérie, il convient de rappeler sur quels
fondements a été créé le
mouve ment national,
restituer le long combat qu'il a mené et de
réfléchir sur les causes de sa
destruction.
Jacques
Simon
Leur
nature
L'ENA
comme le PPA ont été construits sur le
modèle communiste: distinction faite entre
sympathisants et militants regroupés dans des
cellules de quartier ou d'entreprise, formation de
secteurs (plusieurs cellules) et de régions.
Chaque année le bureau convoquait