Le Lien
N°39 juin 2000 Jacques
SIMON [
] 1.
L'École en Algérie, de 1830 à
1870 Trois points seront
précisés : la diffusion de l'enseignement
en 1830 ; la période de la conquête et la
politique scolaire de 1848 à 1870 1. La situation en
1830 Albin Rozet,
Peylissier de Reynaud, Ismaël Urbain, Alexis
Tocqueville précisent dans leurs écrits
que la population de sexe masculin sachant lire et
écrire était au moins égale
à celle de la France (en 1845). Le professeur
Emerit dont on connaît les études solides
sur la Régence d'Alger considère de son
côté qu'en 1830, le nombre
d'illettrés était voisin de celui de la
France, qui ne dépassait pas les 40%.
Cependant, alors que le Maroc et la Tunisie
possédaient avec la Qaraouine et la Zitouna,
des " Universités " réputées qui
formaient les cadres de l'administration et des
Mosquées, il n'existait rien de tel dans la
Régence d'Alger où l'instruction
était une affaire privée, intimement
liée à l'activité religieuse. Les
revenus des biens de main-morte, les habous ,
permettaient d'entretenir les écoles et de
rétribuer les maîtres ou tolba, qui
recevaient aussi de leurs élèves
quelques menus cadeaux lors des fêtes
religieuses. II existait deux
degrés d'enseignement: - l'école
élémentaire ou msid dirigée par
un mouadeb, où l'on apprenait à lire,
à écrire et quelques rudiments
d'arithmétique. La méthode
pédagogique utilisée était
basée exclusivement sur l'exercice de la
mémoire. La description qu'en fait Pierre Boyer
dans " la vie quotidienne à Alger à la
veille de l'intervention française "
(Hachette), tout à la fois précise et
pittoresque, était encore appliquée dans
les années cinquante comme le savent nos amis
instituteurs qui ont enseigné dans le
bled. -Les
élèves les plus doués ou ceux qui
se destinent à occuper des emplois officiels
suivent les cours des mouderrès qui professent
dans les mosquées ou dans des locaux attenants
: les médersas. Certains entrent dans
l'administration, le personnel judiciaire ou religieux
; d'autres enseignent dans les medersas ou les
mosquées ; d'autres encore recopient le Coran
ou divers recueils et les plus modestes se contentent
d'exercer la fonction d'écrivain
public. Dans les
campagnes, l'enseignement est le fait des
confréries religieuses ou zaouias. Au total, un
enseignement très modeste, rattaché
à la religion, réservé aux
garçons et qui scolarisait près de 20%
de la jeunesse. J'ai fait court
et il faudrait peut-être parler de
l'économie, de la société ou
plutôt des sociétés pour parler
comme Pierre Bourdieu ainsi que des institutions sous
les Deys, qu'il s'agisse de celles du gouvernement et
des principaux services publics, du régime des
libertés publiques, enfin. on comprendrait
mieux alors la fonction de l'école, le statut
des maîtres et le contenu de l'enseignement. II
faudrait aussi parler des bibliothèques, de la
presse et des échanges culturels entre la
Régence et les autres pays de l'empire ottoman,
par le biais du pouvoir central (et actuellement on
travaille sur les ar-chives turques de la
Régence à Istanbul, des medersas ou des
Confréries qui étaient
transnationales.) 2. Pendant les deux
décades qui suivent, l'enseignement traditionnel
s'effondre. C'est le fait de la conquête qui
entraîne des destructions, des pillages et la
dispersion des populations. C'est aussi le fait des
autorités françaises. Enfin la plupart
des professeurs au cours des hostilités ont
émigré dans les régions non
encore conquises ; les autres, ceux qui sont
restés, privés de traitements et de
logements sont tombés dans la misère ou
se bornent à remplir les fonctions du
culte. Le coup de
grâce est donné par l'arrêté
du 30 octobre 1848 qui réunit au domaine de
l'Etat les immeubles appartenant aux marabouts,
zaouias et à tous les établissements
d'enseignement religieux. Le bilan est
catastrophique. La commission d'enquête de 1847,
que présidait Alexis de Tocqueville concluait
son rapport de la façon suivante " une
génération a échappé
à l'instruction coranique... nous avons
laissé tomber les écoles, disperser les
séminaires... c'est à dire que nous
avons rendu la société musulmane plus
ignorante et plus barbare qu'elle n'était avant
de nous connaître ". 3. Sous la Seconde
République,l'instruction publique fut
envisagée dans une perspective d'assimilation.
Elle mit d'abord en place pour les Européens, une
académie d'Alger reproduisant le modèle
français, avec un recteur assisté de deux
inspecteurs d'académie et de trois inspecteurs
primaires. -Les
écoles françaises. Elles
reproduisent le modèle en vigueur dans la
métropole, mais avec un enseignement largement
assuré par les religieux : Trinitaires en
Oranie, Soeurs de la Doctrine chrétienne et
Filles de la Charité dans l'Algérois et
le Constantinois ; à eux seuls les
Frères, en 1871, enseigneront à 4 000
enfants. En 1848, 286
écoles communales libres ou publiques
regroupaient près de 16 000
enfants,(9) -les
écoles arabes-françaises Le décret
de 1850 décide de l'ouverture dans les villes
de six écoles primaires pour les garçons
et quatre pour les filles. Le matin, des tolbas
apprenaient aux enfants l'étude linguistique du
Coran en évitant toute allusion à la
religion et l'après midi, ils étaient
relayés par des maîtres qui enseignaient
aux mêmes enfants les matières de base en
français. Ces écoles connurent un
succès très limité dans les
territoires civils et un peu meilleur dans les
régions sous contrôle militaire
dirigées par des Bureaux arabes, mieux
informés de la réalité
algérienne. " Au total en
1870, on comptait environ 36 écoles
arabes-françaises (30 selon d'autres
statistiques) et quelque treize cents écoliers
musulmans " (10) -Les
collèges arabes-français. Créés
par le décret du 14 mars 1857, ils
recrutèrent peu d'élèves qui
s'orienteront presque tous vers l'armée ou
l'administration des tribus. - medersa et
Écoles coraniques. Le décret
du 6 octobre 1852 réglemente la profession
d'instituteur coranique. Pour exercer, le maître
coranique doit obtenir une autorisation administrative
délivrée par le préfet sur avis
motivé d'une hiérarchie de
fonctionnaires français : maire, inspecteur
d'académie, sous-préfet. L'autorisation
préalable permet de contrôler le
personnel enseignant et par là même les
écoles coraniques que l'administration laisse
subsister ou tolère. Mouloud
Feraoun à l'Ecole
Normale de la Bouzaréah... ...et la
dédicace portée sur un exemplaire du
"Fils du Pauvre" et adressée à l'un de
ses anciens condisciples En conclusion,
les différentes politiques menées depuis
1830 ne visaient pas à développer un
enseignement public intégrant les langues et la
culture des populations indigènes mais à
créer les conditions d'une francisation
contraignante. L'enseignement
traditionnel arabe marquera un net déclin,
qu'il s'agisse des écoles coraniques, des
medersa ou des écoles des zaouias.
L'enseignement secondaire français-arabe
lui-même ne jouera pas son rôle et les
effectifs indigènes seront en constante
diminution jusqu'à l'application effective des
lois de Jules Ferry. Malgré le
développement des infrastructures et du
développement économique de
l'Algérie, l'école n'a constitué
un creuset d'intégration que pour les
Européens et les Juifs après l'adoption
du décret Crémieux du 24 octobre 1870.
La politique scolaire à l'égard des
Musulmans fut un échec du fait de la politique
menée par les autorités mais aussi du
fait des musulmans qui s'opposeront à ce qui
n'était pas une "mission civilisatrice" mais
une entreprise de déculturation. Cette opinion
sera renforcée quand le Code de
l'indigénat aboutira à un renforcement
du contrôle de l'administration sur les
écoles privées musulmanes. Mais une
évolution interviendra quand les lois de Jules
Ferry seront appliquées en
Algérie.
A
l'inverse d'une idée reçue, la
population de la Régence d'Alger n'était
pas illettrée. Si l'enseignement technique et
scientifique était pratiquement inexistant, du
fait du mode de production archaïque qui
prévalait, l'instruction
élémentaire était largement
répandue.
D'une
part, des arrêtés du 7 décembre
1830, 23 mars 1843, 4 juin 1843, en réunissant
au domaine public les immeubles des mosquées et
des habous, suppriment les ressources
matérielles destinées à
l'enseignement public, donné gratuitement
jusque là. Ecoles coraniques et médersas
sont délaissées à l'exception de
celles que les habitants entretenaient directement.
Dans les tribus, les zaouias trop rapprochées
des centres européens sont abandonnées,
d'autres sont démolies par la guerre et les
manuscrits de base servant à l'enseignement
détruits.
Elle
innove aussi en lançant une politique qui sera
poursuivie sous le Second Empire : les écoles
françaises, les écoles
arabes-françaises et un contrôle plus
étroit sur les écoles privées
musulmanes.