Le Lien N°40 novembre 2000

EDITORIAL

 

Pour la première fois depuis 1962, Paris a déroulé le tapis rouge devant un président de la République algérienne et lui a manifesté des égards aussi minutieux que les plus prestigieux chefs officiels de la France. Le fait est d'autant plus remarquable que l'élection d'Abdelaziz Bouteflika avait été contestée et que l'image de cet ancien dignitaire du régime de Boumediene, disparu de la scène politique algérienne depuis vingt ans, restait celle du ministre algérien, héraut du nationalisme arabe, d'un tiers monde triomphant et du nouvel ordre international.

Le référendum sur la " concorde civile " sera contesté par les familles des victimes du terrorisme et par beaucoup de citoyens sceptiques sur la disparition des conditions sociales et politiques qui avaient

généré la violence, mais son adoption par une majorité de l'électorat a renforcé la légitimité du nouveau président. Parlant aux Algériens, de façon directe, des problèmes qui les intéressaient, Bouteflika avait semé à tout vent une série de déclarations iconoclastes: la langue arabe étant chez elle en Algérie, a-t-il dit, " je parlerai, dit-il, en français, en espagnol, en anglais et même en hébreu, s'il le faut "; l'armée " siffle avec moi...L'Armée nationale populaire n'est qu'une partie du peuple algérien; elle sera rajeunie et professionnalisée "; l'islam est religion d'Etat, mais " l'Algérie de Bouteflika ne sera jamais théocratique. Elle sera démocratique "; les Algériens doivent se réconcilier avec eux-mêmes et avec leur histoire qui doit être écrite, par des historiens et sans aucun tabou; l'identité algérienne étant plurielle, elle doit réintégrer ses composantes juive et pied-noire; le système éducatif doit être totalement réformé ; pour les femmes, le problème n'est pas celui des versets du Coran, mais de " la calcification de certains esprits, et principalement d'une population algérienne qui n'a pas compris que 52% de la population sont des femmes ". Quant à l'état économique et social du pays, Bouteflika sait qu'il est dramatique. Lucide et ironique, celui qui fut le président de l'Assemblée générale de l'ONU en 1974, n'hésite pas à se moquer de lui-même et de la période où l'Algérie se targuait d'être la locomotive des pays progressistes.

C'est à partir d'un bilan sans complaisance de la politique algérienne depuis le " redressement révolutionnaire " du 19juin 1965, d'une compréhension réaliste de la situation mondiale, des mesures prises pour libéraliser l'économie et démocratiser la société, que Bouteflika est parvenu à desserrer l'isolement diplomatique subi par l'Algérie depuis 1992 et à redonner son " rang " à son pays au Maghreb, en Afrique et au Moyen Orient. C'est alors qu'il effectue en France un voyage, minutieusement préparé en France. D'emblée, il précise que s'il vient à Paris, K c'est pour discuter avec le chef de l'Etat des relations entre l'Algérie et l'Union européenne, de la dette de l'Algérie, du Maghreb, des relations du monde arabe avec la France, des souffrances de l Afrique. La France a décroché. Un plan Marshall pour le Maghreb. Pourquoi pas?"

Pendant tout son séjour en France, Bouteflika insistera sur le caractère politique de sa visite, même si les questions économiques et en particulier, le problème de la dette étaient très présents. Il dira que la page de la colonisation est " tournée ", avant d'en appeler à la " réconciliation historique entre les deux pays ".Plusieurs pas dans cette direction ont été accomplis (rencontre chaleureuse avec Jacques Chirac, Lionel Jospin, Laurent Fabius et Jean-Pierre Chevènement, attention particulière à la communauté juive et aux pieds-noirs, invités à revenir en Algérie, considération à l'égard de la population algérienne de France, incitation à une écriture de l'histoire partagée des deux peuples). Mais le discours prononcé à l'Assemblée nationale n'a pas convaincu. Quant aux propos discriminatoires à l'égard d'une fraction de la population française, les harkis qualifiés de surcroît de " collaborateurs ", ils ont jeté un froid.

Les propos désastreux tenus par un président en visite officielle sur " la repentance ", " les collabora-teurs " et "je suis parti les mains vides " attestent que la route de la réconciliation sera longue et qu'elle doit être menée de part et d'autre. Ajoutons que si la France et l'Allemagne se sont réconciliées, c'est parce qu'elles avaient en commun une vision démocratique. Il en sera de même entre Alger et Paris quand l'histoire des deux pays sera écrite sans tabou et que le peuple algérien deviendra souverain en choisissant en toute liberté la démocratie..

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1 Revue CIRTA n ° 18 Revue du Centre de Recherche et d'Etude sur l'Algérie contemporaine (CREAC) 32 rue Rodier - 75009 Paris