Intervention de Jacques Simon au colloque de Lille en décembre 2004

 
Dans le cadre de cette Table ronde, je m’en tiendrais à deux points : le climat politique général, vu d’Alger en 1954 par l’étudiant que j’étais et la connaissance qu’on pouvait avoir  de l’Algérie, peu avant l’envoi du contingent en Algérie, après le vote des pouvoirs spéciaux par le Parlement, en mars 1956.
 
En 1950, je suis interne au Collège de Mascara. En février, les pensionnaires sont jetés du lit par le surveillant général à 6 heures 30. Rassemblement dans la cour et au pas de gymnastique jusqu’au stade. Exercices divers, surtout des pompes, puis retour au Collège, une heures plus tard. Petit déjeuner rapide et permanence avant les cours de 8 heures. Le jeudi et le dimanche, préparation militaire pour les collégiens de seconde et première. On ne nous préparait pas aux jeux olympiques mais à la 3ème guerre mondiale, commencée nous disaient nos instructeurs, avec la guerre de Corée. Ce cirque a duré jusqu’aux grandes vacances.
En 1951-1953, je suis externe puis interne au lycée Bugeaud d’Alger. Le lycée Bugeaud comprenait plusieurs classes préparatoires au Bac I et II ainsi qu’aux grandes écoles : agro, véto, pharmacie, St Cyr, navale. En dehors des cours, du sport, des dimanche sur la plage ou des surprises-parties, les étudiants s’intéressaient beaucoup à la politique. Il existait de véritables clubs de discussion dans les cafés. A Bab-el-Oued, j’ai participé certains dimanche, à des réunions du PCA, lu assez régulièrement Alger Républicain, Liberté, Les lettres françaises, quelques numéros des Cahiers du Communisme et des classiques du marxisme.
D’autres dimanches, je me suis retrouvé à la Casbah avec des camarades algériens à lire l’Algérie Libre ou à discuter de la politique du MTLD, de la répression, de l’Indochine et de l’Afrique du Nord.
A la Fac. de Droit, dans le cercle des étudiants juifs où j’allais parfois, les discussions portaient souvent sur l’avenir de l’Algérie.
 
A la fin de l’année 1953, si l’intérêt pour la politique était certain, personne ne croyait, après la détente qui a suivi la période de la guerre froide, que l’Algérie était à la veille d’un tremblement de terre, du fait de trois évènements :
 1. l’expulsion de Messali Hadj d’Algérie en 1952 et sa mise en résidence surveillée à Niort, en France ;
 2. l’élimination des messalistes de l’appareil central du MTLD, après l’adoption par le 2ème Congrès du MTLD d’avril 1953, d’un programme réformiste ; 
3..les élections municipales d’avril 1953, remportées à Alger, par le maire libéral Jacques Chevallier et par le MTLD dans le second collège.
L’accord passé peu après entre Jacques Chevallier et Abderrahmane Kiouane, chef de file des élus du MTLD, pour une cogestion de la capitale de l’Algérie a créé, dans le milieu étudiant et libéral d’Alger, la conviction que l’Algérie allait évoluer vers la solution préconisée par le Comité central du MTLD lié à Jacques Chevallier, par l’UDMA de Ferhat Abbas et par le PCA, à savoir : une République algérienne au sein de l’Union française.
 
En 1953-54, je mène des études de lettres et de droit à Paris, tout en suivant la vie politique française marquée par la guerre d’Indochine et la montée des nationalisme en Tunisie et au Maroc. Je m’intéresse aussi à la crise du MTLD. En mars 1954 quant toute la Fédération de France bascule dans le camp messaliste, la voie révolutionnaire semble ouverte. Après le Congrès de refondation du MTLD à Hornu (14/16 juillet), mes amis algériens m’informent que la nouvelle direction, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) va engager la lutte armée pour l’indépendance en décembre 1954. Mes examens passés, je décide de retourner en Algérie pour participer à ce combat libérateur. Je deviens maître d’internat au lycée de Sidi-Bel-Abbès et je m’inscris  en 2ème année de droit à Alger. Début septembre, j’ai assisté dans la région de Tiaret et de Mascara aux préparatifs des militants messalistes, tous passés par la dure école du PPA, pour la révolution, prévue en décembre 1954
 
J’en arrive au second point  : L’intérêt manifestée par l’Université, les syndicats, les partis et le Gouvernement général pour une compréhension sérieuse de l’Algérie et de ses problèmes.
 
Il me semble important de faire un état des études faites en Algérie, de 1948 à 1956 pour deux raisons majeures
1.      Par comparaison avec la très importante documentation publiée pendant le Centenaire de 1930 (une centaine de thèses, rapports, livres et numéros spéciaux de revues), on passe, de l’inventaire de l’Algérie française à une approche totalement différente – et on voit bien que les défaites du régime de Vichy par les Alliés en 1942, ont ébranlé le régime colonial – où l’on se projette déjà dans une Algérie algérienne qui n’est plus le simple prolongement de la Métropole.
2.      Pour une compréhension des problèmes généraux pendant la guerre d’Algérie. Le plan de Constantine de 1959, par exemple reprend les grandes lignes du rapport général sur le 2ème plan quadriennal de modernisation et d’équipement (1953-1956), le Rapport Maspetiol de 1955 et celui de Robert Delavignette de 1956.
En conclusion, l’Algérie a connu depuis 1942, de grands bouleversements sociopolitiques ainsi qu’un profond changement dans les mentalités de tous les habitants de l’Algérie, annonciateurs de la rupture de novembre 1954.
 
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Je vais simplement signaler dans une brève bibliographie, les ouvrages sur l'Algérie que j'ai consultés ou étudiés pendant les années 1952-1955 :
 
- Bousquet (Georges-Henri). L'Islam maghrébin. Introduction à l'étude générale de l'Islam, Alger, Maison du livre, 4ème ed.1955.
- Chevallier (Louis). Le problème démographique nord-africain. INED, Cahier 6, PUF, 1947 ;
- Chouraqui (André). Les Juifs d'Afrique du Nord, PUF, 1952.
- Dermenghem (Emile). Le culte des saints dans l'islam maghrébin, Gallimard, 1956.
- Despois (Jean).(Professeur à la Faculté d'Alger). L'Afrique blanche française. Tome premier. L'Afrique du Nord, PUF, 1949, avec une importante bibliographie.
- Julien (Charles-André). L'Afrique du Nord en marche. Nationalismes musulmans et souveraineté française, Julliard, 1952.
- Larnaude (Marcel). L'Algérie, Col.Union française, Berger-Levrault, 1950;
- Muracciole (L) (avocat). L'émigration algérienne : aspects économiques, sociaux, juridiques, Librairie Ferrari, Alger, 1950.
- Rager (Jean-Jacques). Les Musulmans algériens en France et dans les pays islamiques, Société des Editions des Belles Lettres, Paris, 1950.
Ouvrages consultés ou étudiés par les étudiants en droit à la Fac d’Alger
 
- L'Exposé de la situation générale de l'Algérie en 1954-1955, Gouvernement général de l'Algérie, Alger, 1955
- L'Annuaire statistique de l'Algérie, Gouvernement général, 19554-55.
 -Le Rapport de la mission de réorganisation du gouvernement général de l'Algérie et de déconcentration administrative (dit « Rapport Maspetiol », juin, 1955. 
- Les Documents algériens, 1953- 1954 et 1955.
- La situation économique de l'Algérie en 1955. Numéro spécial de la Revue de la région économique d'Algérie.
- Algérie 1954, numéro spécial de l'encyclopédie mensuelle d'outre-mer, Paris 1954.
- Le livre classique de J.Lambert. Manuel de Législation algérienne; Alger, 1952 et le Journal officiel de l'Algérie comprenant les débats de l'Assemblée algérienne et ceux des sessions de l'Assemblée financière.
- Enfin, deux livres sur les questions sociales publiés par le Secrétariat Social d'Alger : « la lutte des Algériens contre la faim », Alger, 1955 et « La cohabitation en Algérie », Alger 1956.
 
LES CAUSES SOCIALES ET POLITIQUES DE L’INSURRECTION ALGERIENNE
 
 
La Révolution algérienne trouve ses origines dans un passé lointain : celui de la conquête et de la colonisation, puis dans l’incapacité de tous les gouvernements français, celui du Front populaire comme celui du Gouvernement provisoire (GPRF) du général de Gaulle, d’accepter que l’Algérie puisse se constituer en nation souveraine, tout en restant dans le cadre d’un Commonwealth franco-africain. Précisons :
 

La conquête et la colonisation

L’expédition d’Alger, décidée par Charles X en 1827, fut à la fois un expédient improvisé et une opération de politique intérieure. Elle visait à diviser l’opinion libérale, satisfaire les milieux d’affaires (soyeux lyonnais et négociants marseillais) et offrir à l’armée incertaine un triomphe facile et un butin de guerre avec le pillage du trésor du Dey
La prise d’Alger, suivie de l’expulsion des Turcs, laisse le vainqueur dans l’embarras : changement de régime en France, absence de doctrine coloniale et découverte par les militaires que la Régence dont l’autorité ne s’exerçait que dans la région d’Alger, était plaquée sur une Algérie rurale et pastorale, organisée en tribus, maillées par les confréries religieuses. Ainsi s’expliquent les incertitudes des débuts (1831-1840), avant que Bugeaud n’effectue la conquête totale après la destruction de l’Etat d’Abdelkader (1841-1847).
 
La IIème République proclame que l’Algérie est partie intégrante de la France, mais sous le Second empire, trois changements interviennent. On passe de l’Algérie du maréchal Randon et des Bureaux arabes (1852-1858) à une reprise de la politique assimilatrice de la II ème république avec le ministère de l’Algérie (1858-1860) puis à une politique d’association avec la lettre de Napoléon III du 6 février 1863, à savoir que « l’Algérie n’est pas une colonie mais un royaume arabe. »(1)
Après la chute de l’empire et l’écrasement de l’insurrection kabyle de 1871, la colonisation prend son essor pour atteindre son apogée, de la fin des années 1890 à 1914. Pour comprendre le traumatisme créé par la conquête, il convient d’en dégager les caractères principaux :
 
1.La conquête fut une entreprise longue, meurtrière et particulièrement dévastatrice, avec trois conséquences :
- l’occupation des villes et l’appropriation des terres collectives des tribus, entraînant la désintégration de la société traditionnelle ;
-  l’émigration de nombreuses tribus du Constantinois vers la Tunisie et de l’Oranie vers le Maroc ainsi que le refoulement d’autres tribus vers le Sahara ou les régions montagneuses ;
-  l’introduction du mode de production capitaliste entraînant la ruine de l’artisanat, la perturbation des échanges entre pasteurs et agriculteurs et, d’une manière plus large, un bouleversement de toute la structure économique et commerciale qui prévalait.(2)
 
2. le choc créé par l’implantation d’une population et d’une civilisation étrangère à celle des Algériens, rendant conflictuelle la cohabitation dans tous les domaines de la vie sociale, culturelle, religieuse et politique.(3)
 
3. un système institutionnel dont les changements (assimilation, association, intégration, cohabitation) traduisait toutes les ambiguïtés de la France à définir le statut de l’Algérie. Sous la IIIè République, l’Algérie est totalement intégrée en 1881 à la France, avec le système des « rattachements » qui établit que toutes les affaires algériennes doivent être réglées par les ministères parisiens. Mais en 1896, l’intégration est remplacée par un régime qui accorde à l’Algérie la personnalité morale et un budget distinct. Deux ans plus tard, Paris dote l’Algérie de Délégations financières comprenant trois sections : la première de 24 délégués colons, la seconde de 24 délégués non colons et la troisième de 21 délégués indigènes dont 6 délégués kabyles.
Il faut noter que le passage de l’intégration à un régime combinant l’autonomie et la décentralisation de l’Algérie, avec un budget contrôlé par les Délégation financières et un Gouverneur, chef de la haute administration, intervient à un moment où s’effectue la fusion entre le parti colonial et le parti national, c’est-à-dire quand l’impérialisme français prend ses caractères généraux et qu’il s’oriente vers la guerre de revanche contre l’Allemagne.(4) Cela s’exprime par :
 
-- un renforcement du poids démographique des Européens, avec l’attribution massive de la nationalité française aux Juifs (décret Crémieux de 1871) et aux étrangers (loi Batbie de 1889). En 1886, on comptait 219 000 Français et 2111 000 européens, en 1896, 318 000 Français (dont 50 000 naturalisés) et 212 000 Européens ;
-- l’intégration totale de l’Algérie dans les circuits économiques, commerciaux et financiers ainsi que dans le marché du travail de la France avec l’arrivée d’une émigration ouvrière à dominante kabyle ;
-- le poids devenu considérable de l’Algérie quand elle devient la clé de voûte de l’empire français en Afrique, après la conquête de la Tunisie et Maroc, avec son prolongement saharien. C’est à partir de l’Algérie que s’élabore la doctrine coloniale de la France, sa diplomatie et la transformation de son outil militaire.
 
C’est pendant cette période où l’Algérie est une composante majeure de l’impérialisme français que l’oppression des Musulmans se renforce dans tous les domaines : fiscal, avec les impôts arabes dont la progression est constante, la politique administrative avec les communes mixtes, sous contrôle de l’Armée et des communes dites de plein exercice dirigées exclusivement par des maires et des conseillers municipaux européens, la création de tribunaux répressifs, de cours criminelles et du Code de l’indigénat, réglementant la circulation des Musulmans en Algérie et dans l’émigration.(5)
Par ailleurs, l’administration s’efforce de contrôler ou démanteler les confréries, à l’origine de toutes les insurrections jusqu’en 1914, de réglementer les pèlerinages, en particulier celui de la Mecque et de tenter de codifier le droit musulman (6)
Elle mène aussi une petite guerre contre les écoles coraniques et les medersas, tolérées mais tracassées. Dans le même temps que l’école a rendu possible à une mince élite l’accès à la culture, sa mission éducatrice reste très limitée : un millier en 1914, dont 259 instituteurs, 25 avocats et médecins et 65 auxiliaires médicaux.  Pour Ageron, « la masse musulmane fut à peine effleurée jusqu’en 1918 par l’école française » et « la conquête morale de l’Algérie française était à peine entamée lors de la première guerre mondiale » (7)
 
Pendant la grande guerre, la France s’est convaincue d’avoir réussi dans « sa mission civilisatrice » puisque des milliers de Musulmans (1/6 de la population active) furent mobilisés dans les diverses unités militaires comme dans les écoles. Mais c’est précisément avec cette entrée massive des Algériens dans le creuset de l’usine et dans l’armée que prend fin la période ouverte par l’expédition d’Alger de 1830. Elle sera vécue comme une période d’oppression, d’humiliation, d’acculturation qui laissera des traces profondes mais c’est dans un autre contexte et sur d’autres bases que le mouvement nationaliste va se construire avant de s’engager dans la guerre de libération.
 

La crise des années trente

C’est pendant la période de l’entre deux guerres que l’Algérie connaît une crise sociale et identitaire profonde. Les fêtes du Centenaire ont créé des illusions sur la pérennité de l’Algérie française. Mais des observateurs avertis comme Emile-Felix Gautier ou Charles André Julien ne sont pas dupes. Quant à l’ancien gouverneur Maurice Viollette, il publie en 1931, un livre au titre prémonitoire : « l’Algérie vivra-t-elle ? » (Alcan, 1931) où il incite les autorités à mener sans tarder une série de réformes, pour réaliser « l’unité algérienne ».Pendant ces années, la situation algérienne est caractérisée par :
-- une crise économique et sociale aiguë par le fait de la répercussion en Algérie de la crise économique mondiale, révélant la vétusté de l’appareil productif, conséquence de la faiblesse des investissements dans les infrastructures, l’industrie et l’agriculture (8);
-- une paupérisation croissante de la population musulmane ;
- un reflux des ruraux européens vers les villes, point de départ d’une tendance lourde qui  se dévelop-pera ensuite. Pierre Boyer, archiviste en chef du département d’Alger écrit :
«  Le recensement de 1931 marqua le début du reflux des ruraux européens vers les cités. En effet, pour la première fois, le peuplement rural reculait : 234 000 contre 236 000 âmes en 1926.
Il ne devait plus cesser : 230 000 en 1936, 201 000 en 1948, 196 000 en 1954 ; 20% seulement des algériens d’origine européenne vivent hors des villes !
La date de 1931 est donc capitale dans l’évolution de l’implantation du peuplement européen. Elle marque la fin d’un rêve : la constitution d’une classe de paysans d’origine européenne, base de notre emprise sur le pays et levier de son évolution ultérieure » (9)
 
Dans ce contexte, la victoire électorale du Front populaire allait amplifier les tensions sociales et politiques existantes. Pour faire court, on assiste à la confrontation de deux projets politiques :
- Celui de Maurice Viollette redevenu Gouverneur général qui propose aux élites musulmanes de participer à la réalisation d’un large plan de réformes pour réaliser « l’unité algérienne ». Le PCA, les Elus du Dr.Bendjelloul et de Ferhat Abbas ainsi que les Oulémas acceptent ce projet et s’organisent pour le défendre dans un Congrès Musulman.
- Celui de l’Etoile Nord-Africaine (ENA) créée en 1926 au sein du PCF par la IIIème  Internationale qui se prononce pour la formation d’une nation algérienne souveraine, à l’issue d’élections libres de tous les habitants de l’Algérie (Musulmans, Européens et Juifs) à une Assemblée constituante. L’ENA réclame l’abrogation du régime colonial, un plan radical de développement économique et social, l’unité des trois peuples d’Afrique du Nord et la transformation de l’Empire en un Commonwealth franco-africain.(10).
En 1938, le plan Viollette est abandonné entraînant la dislocation du Congrès Musulman, tandis que le Parti du peuple algérien (PPA), qui a succédé à l’Etoile, interdite en 1937, s’affirme comme le seul parti nationaliste dans lequel les couches opprimées de l’Algérie se reconnaissent.
 
Les dernières occasions manquées
En 1940, la débâcle militaire française suivie de la formation de l’Etat de Vichy ont porté un coup sévère au prestige de la France en Afrique du Nord. En novembre 1942, la victoire des Alliés sur les forces françaises d’Afrique du Nord, la politique anticolonialiste de Roosevelt et la dépendance du général Girault envers les Américains pour former l’armée d’Afrique, ont créé chez les trois peuples d’Afrique du Nord, l’espérance d’une émancipation prochaine. C’est ainsi que s’explique l’évolution rapide de l’assimilationniste Ferhat Abbas. Influencé par Robert Murphy, proconsul américain en Afrique du Nord, il rédige  « le Manifeste du peuple algérien ». Il rencontre ensuite Messali Hadj en résidence surveillée à Chellala et il accepte son  « Additif » pour des élections libres à une Assemblée Constituante. Ce Manifeste est accepté comme base de discussion par le gouverneur Marcel Peyrouton. C’est-à-dire qu’en avril 1943, les autorités  françaises acceptaient une véritable émancipation du peuple algérien.(11)
 
Tout change quand le général de Gaulle s’installe à Alger, le 30 mai 1943. Le général Catroux qu’il nomme gouverneur général en remplacement de Peyrouton, refuse le Manifeste et l’Additif et le 12 décembre 1943, de Gaulle prononce à Constantine un discours qui reprend les grandes lignes du plan Viollette, à savoir une assimilation progressive des Elites musulmanes dans l’Algérie française.
Ulcéré, Ferhat Abbas crée à Sétif le 14 mars le mouvement des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML), soutenu par le PPA, les Oulémas et les réformistes mais dénoncé par tous les partis membres du Gouvernement provisoire (GPRF).
En cette fin 1944, pendant que l’armée d’Afrique participe activement à la libération de la France, les AML s’implantent dans toute l’Algérie et son journal l’Egalité est massivement diffusé. A partir de janvier 1945, toute l’Algérie s’engage dans le mouvement des AML, structuré de façon croissante par le PPA clandestin. Le 2-4 mars 1945, au Congrès des AML d’Alger, les délégués adoptent les thèses du PPA et proclament Messali Hadj « leader incontesté du peuple algérien ». Dans des situations analogues, les Anglais auraient, comme ils l’ont fait aux Indes, en Malaisie, au Ghana ou au Nigéria, reconnu ce vote et procédé à des élections libres. Le problème algérien aurait alors été réglé de façon pacifique et démocratique puisque les AML se prononçaient pour une Constituante élue par tous les Algériens et amie de la France.
 
Le GPRF du général de Gaulle agira autrement. Messali Hadj sera déporté à El Goléa puis à Brazzaville et en mai, les manifestations des Algériens sont sauvagement réprimées. On pourrait s’arrêter là et dire, comme on le soutient, qu’il existe un lien direct entre les massacres de mai et l’insurrection de novembre 1954. C’est en partie vrai mais la réalité est plus complexe et si la question de la lutte armée est inscrite à l’ordre du jour depuis le Congrès du MTLD de 1947 avec la création de l’Organisation spéciale (OS), celle ci n’a jamais été qu’une commission technique placée sous la responsabilité du parti. En d’autres termes, pour le MTLD, la solution du problème algérien n’a jamais été militaire mais toujours politique (La Constituante souveraine).  Quant aux partisans d’une République algérienne au sein de l’Union française, leur solution n’était plus crédible. En effet, la lutte acharnée menée par la France en Indochine, en Afrique, en Tunisie et au Maroc attestait de sa volonté de conserver son empire. Par ailleurs la répression permanente contre le mouvement nationaliste a renforcé le sentiment de colère dans les couches populaires, ulcérées par la dissolution de l’Etoile et du PPA, le rejet du Manifeste et les massacres de mai 1945. C’est dans ce contexte et dans le cadre de la décomposition de l’Union française conjuguée à une crise sociale et politique en France que la marche à l’insurrection a commencée, sitôt la crise du MTLD résorbée en juillet 1954.
 
Jacques Simon
 
 

Notes

1.Julien (Charles-André). Histoire de l’Algérie contemporaine. Conquête et colonisation. PUF, 1964.
2.Lacoste (Yves), Nouschi (André) et Prenant (André). L’Algérie, passé et présent, Ed.Soc.1960.
3.Turin (Yvonne). « Affrontements culturels dans l’Algérie coloniale : écoles, médecines, religion, 1830-1880. » Maspero, 1971
4. Bouvier (Jean),Girault (René), Thobie (Jacques). L’impérialisme à la française. 1914-1960, La Découverte-Maspero, 1986..
5.Ageron  (Charles-Robert). Histoire de l’Algérie contemporaine, 1971-1954, PUF, 1979. ; Simon (Jacques). L’immigration algérienne en France, des origines à l’indépendance, Paris/Méditerranée, 2000.
6. Le Pautremat (Pascal). La politique musulmane de la France. Maisonneuve-Larose, 2003 ; Charnay (Jean-Paul). La vie musulmane en Algérie, d’après la jurisprudence de la première moitié du XX ème siècle, Quadrige/PUF, 1991.
7. Ageron. Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), PUF, 1968, T.II, p.962.
8.Nouschi (André). L’Algérie amère, 1914-1994, EMSH, 1995.
9. Boyer (Pierre). L’évolution de l’Algérie médiane (Ancien département d’Alger) de 1830 à 1956, Maisonneuve, 1960. ; Kateb (Kamel). Européens, « indigènes » et Juifs en Algérie (1830-1962), INED/PUF, 2001.
10. Créée au sein du PCF sur décision du Bureau exécutif de la 3è Internationale (Comintern), l’Etoile Nord-Africaine construite au sein de l’émigration ouvrière algérienne en France, dont la plupart des membres adhéraient à la CGTU puis à la CGT jusqu’en 1955, restera , malgré ses divergences avec le PCF, après le discours indépendantiste de Messali Hadj, secrétiare général de l’Etoile en 1927, fidèle à son programme prolétarien.
11. Rey-Goldzeiguer (Annie). Aux origines de la guerre d’Algérie. 1940-1945. La Découverte, 2002 ; Simon (Jacques). Le Parti du peuple algérien. L’Harmattan, 2004.